(Québec) Les travaux de l’Assemblée nationale ont pris fin vendredi sur une controverse en coulisses à propos d’une nomination. À la toute dernière minute, le gouvernement Legault a renoncé à proposer la nomination, à la tête de la Commission de la fonction publique, d’un ex-bras droit de Philippe Couillard, André Fortier, qui vient d’être éclaboussée par une juge pour la démission forcée de l’ancien numéro deux de l’UPAC en 2017.

La Commission de la fonction publique est l’organisme à qui le gouvernement Legault a confié le mandat de statuer sur une possible destitution du patron de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme, suspendu de ses fonctions depuis deux ans.

Cette commission est un organisme indépendant qui a une double mission de tribunal administratif et d’organisme de surveillance. Elle a un pouvoir d’enquête et le mandat de « vérifier le caractère impartial et équitable des décisions prises en matière de gestion des ressources humaines qui affectent les fonctionnaires ».

L’organisme est dirigé en ce moment par Hélène Fréchette, qui a informé la Chambre à la fin de mai de son départ à la retraite le 2 août. Son mandat venait à échéance en décembre.

Le gouvernement Legault a enclenché le processus pour désigner son successeur, processus qui implique les partis de l’opposition.

C’est que le président de la Commission de la fonction publique doit être nommé par l’Assemblée nationale, par l’entremise d’une motion déposée par le premier ministre. Cette motion doit être approuvée par au moins les deux tiers des députés. Les caquistes ont donc besoin de l’appui de l’opposition pour approuver leur proposition. On cherche l’unanimité, un très large consensus dans le pire des cas, pour ce type de nomination.

Or, en début de semaine, le gouvernement Legault a proposé en coulisses aux partis de l’opposition un seul nom pour la présidence de la Commission : André Fortier.

Ce dernier a été secrétaire général du gouvernement – le numéro un des fonctionnaires – durant la dernière année du mandat de Philippe Couillard, en 2018. Il était auparavant, depuis le retour au pouvoir des libéraux en 2014, secrétaire général associé au Secrétariat aux emplois supérieurs du ministère du Conseil exécutif – le ministère du premier ministre. Il est aujourd’hui conseiller spécial de la rectrice de l’Université Laval.

Le Parti québécois a manifesté au gouvernement son opposition au sujet de cette nomination. Le Parti libéral a exprimé des hésitations, même si André Fortier y a de longs états de service. Il a été chef de cabinet de Claude Ryan de 1985 à 1991, par exemple.

Critiqué par une juge de la Cour supérieure

Dans le caucus des deux partis, on a souligné qu’André Fortier avait fait l’objet de sérieuses critiques de la part de la juge Janick Perreault, de la Cour supérieure, dans une décision rendue le 26 février dernier.

Dans cette décision, la juge a conclu que Québec avait forcé injustement Marcel Forget à démissionner de son poste de numéro deux de l’Unité permanente anticorruption le 30 novembre 2017. Elle a condamné le gouvernement à lui verser 419 900 $. Québec n’a pas porté le jugement en appel.

À titre de responsable des emplois supérieurs au gouvernement Couillard, André Fortier a été un acteur important dans cette affaire en 2017. Il a été un témoin clé de Québec devant le tribunal. Or, la juge a conclu que la version de Québec était « truffée d’allégations sans fondement ».

Le gouvernement alléguait que le départ de Marcel Forget était lié à ses investissements dans des condos-bureaux au centre-ville de Montréal. Il soutenait un possible conflit d’intérêts, de « graves manquements » aux règles d’éthique. Mais toute cette théorie est « forgée et ne s’appuie pas sur des faits », a tranché la juge. « À cette époque, Forget ne s’adonne pas à une activité de nature commerciale apparemment incompatible avec ses fonctions de commissaire », alors que, du reste, les condos n’étaient pas prêts.

Selon le récit publié dans le jugement, le gouvernement Couillard voulait larguer Marcel Forget le 30 novembre 2017, à la suite de la parution d’un texte dans Le Journal de Montréal. « Fortier téléphone à Forget et lui offre deux avenues : démissionner ou faire l’objet d’une destitution. Il doit se décider rapidement », peut-on lire dans le jugement. Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a alors déclaré publiquement que Marcel Forget n’était plus l’« homme de la situation ».

« Face à un tel déferlement, Forget n’a plus le choix, il doit “s’exécuter”. Il signe une lettre de démission sous le choc. »

« La méthode utilisée pour obtenir la démission rend l’exercice abusif en ce que Fortier impose un délai irréaliste de prise de décision, et ce, pour soigner l’image publique du gouvernement », écrit la juge.

« Les motifs invoqués par Fortier en vue d’une éventuelle destitution ne tiennent pas la route, ajoute-t-elle. Le contrat de travail prévoit la destitution pour des raisons de malversation, mal-administration, faute lourde ou motif de même gravité. Aucune telle raison n’est présente, en l’espèce. »

Si elle salue la solidité du témoignage de Marcel Forget, il en va tout autrement pour celui d’André Fortier. « Fortier a tendance à ponctuer son témoignage de commentaires destinés à teinter le dossier. Diverses de ses affirmations sont contredites par des témoins et la preuve documentaire », affirme-t-elle.

Refus et hésitations

À la lumière des conclusions de la juge, le Parti québécois a fait savoir au gouvernement qu’il n’était pas envisageable pour lui qu’André Fortier dirige la Commission de la fonction publique. Les hésitations du Parti libéral du Québec transmises aux caquistes reposent sur les mêmes motifs.

Jeudi, le gouvernement Legault avait malgré tout l’intention d’aller de l’avant, mais il a subitement changé d’avis vendredi matin. François Legault n’a pas présenté la motion.

Une source gouvernementale qui n’avait pas l’autorisation de s’exprimer publiquement dans ce dossier a expliqué que la position des autres partis avait mené au retrait de la motion. Elle a justifié le choix d’André Fortier en rappelant ses états de service au sein des gouvernements précédents. Elle a expliqué que c’était le gouvernement Couillard qui voulait se débarrasser de Marcel Forget, qu’André Fortier avait été un exécutant et que c’était parfois le rôle que jouait le secrétaire aux emplois supérieurs. Le jugement vise davantage le gouvernement libéral qu’André Fortier, a-t-elle ajouté, relativisant les conclusions de la juge sur son témoignage.

D’autres sources consultées par La Presse ont soutenu que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, avait demandé à la Commission de la fonction publique, le 17 octobre dernier, de faire enquête sur Martin Prud’homme et de lui remettre un rapport « sur l’existence et la suffisance d’une cause de destitution ou de suspension sans rémunération ».

Sa décision faisait suite à une recommandation en ce sens du Secrétariat aux emplois supérieurs. Le Secrétariat s’est appuyé sur le rapport d’un comité de trois experts concluant que M. Prud’homme avait commis une faute déontologique suffisamment grave pour être destitué. Ce dernier considère que le document est incomplet et que la ministre a fondé sa décision sur des informations erronées.

La source gouvernementale soutient que le choix d’André Fortier n’avait pas de lien avec le dossier Prud’homme.