(Ottawa) Le gouvernement Trudeau tente de faire reconnaître dans la loi l’évolution du Sénat vers une chambre haute plus indépendante, et moins partisane, de « second examen objectif ».

Les libéraux ont présenté au Sénat un projet de loi, qui chemine actuellement à la Chambre haute avec l’appui des quatre groupes de sénateurs. Il pourrait toutefois rencontrer plus de résistance à la Chambre des communes, où il devrait atterrir dès la semaine prochaine.

Le projet de loi S-4 modifierait la Loi sur le Parlement du Canada pour reconnaître officiellement la transformation que le Sénat a subie depuis 2015. Le premier ministre Justin Trudeau a commencé à ne nommer que des sénateurs non partisans, suggérés par un comité consultatif indépendant.

La loi reconnaît actuellement l’existence au Sénat que des seuls partis politiques reconnus — en pratique, seulement les libéraux et les conservateurs, qui gouvernent tour à tour. Le projet de loi S-4 refléterait le fait que la vaste majorité des sénateurs siègent maintenant dans trois groupes qui ne sont affiliés à aucun parti politique aux Communes : le Groupe des sénateurs indépendants, le Groupe progressiste du Sénat et le Groupe des sénateurs canadiens — en plus des conservateurs.

Cette reconnaissance s’accompagne d’un financement pour chaque groupe et ses leaders au Sénat. Il s’accompagne aussi de pouvoirs supplémentaires, notamment un mot à dire sur tout changement au comité le plus puissant du Sénat, le Comité de la régie interne. Ces groupes doivent aussi être consultés sur la nomination de certains hauts fonctionnaires du Parlement.

Les conservateurs, dernier groupe « partisan » au Sénat, avec seulement 20 membres, demeureraient l’opposition officielle, sans diminution de leur financement ou de leurs pouvoirs. Mais le projet de loi reconnaîtrait que le caucus gouvernemental ne se compose maintenant que de trois sénateurs : le représentant du gouvernement au Sénat, son adjoint législatif et un agent de liaison avec le gouvernement.

Reconnaissance d’une réalité

Le projet de loi est parrainé à la chambre haute par le sénateur Peter Harder, tout premier représentant du gouvernement au Sénat, qui siège dorénavant au sein du Groupe progressiste. Il soutient que le projet de loi constitue une approche pratique pour refléter tout simplement la nouvelle réalité au Sénat.

« Dans l’état actuel des choses, des leaders de groupes et des facilitateurs ont peu ou pas de statut lorsqu’il s’agit de fournir des commentaires ou des conseils sur les nominations gouvernementales, qui n’ont pas le pouvoir législatif de modifier la composition du comité le plus puissant du Sénat et qui, sans indemnités de chefs, doivent compter sur la bienveillance des collègues’reconnus’pour financer et gérer leur groupe et leur personnel de recherche », déclarait M. Harder au Sénat lors du débat d’ouverture sur le projet de loi, au début du mois.

Le projet de loi a reçu mercredi l’approbation de principe des sénateurs. Jeudi, ils ont siégé en comité plénier pour entendre Dominic LeBlanc, qui, en tant que « président du Conseil privé de la Reine pour le Canada », supervise le portefeuille des institutions démocratiques.

« Le projet de loi S-4 est une prochaine étape importante dans l’appui de notre gouvernement à un Sénat moins partisan et plus indépendant », a déclaré M. LeBlanc, qui est également ministre des Affaires intergouvernementales.

« Le Sénat a été créé […] pour jouer un rôle important en fournissant un second examen objectif dans l’examen législatif, la représentation régionale et aussi la représentation des voix minoritaires. »

Le leader conservateur au Sénat, Don Plett, a déclaré à M. LeBlanc que, bien qu’il appuie le projet de loi S-4, il conteste toute suggestion selon laquelle la chambre haute serait moins partisane aujourd’hui que depuis 1867.

« Nous pouvons avoir des groupes qui ne font pas partie de partis reconnus, mais croyez-moi, il n’y a pas une personne qui sert dans cette auguste chambre qui ne soit, en fait, partisane », a soutenu le sénateur Plett.

Le Bloc et le NPD contre l’institution

Le sénateur Harder a déclaré en entrevue qu’il s’attend à ce que le projet de loi passe rapidement en troisième et dernière lecture au Sénat la semaine prochaine, après quoi il sera envoyé à la Chambre des communes, où son accueil ne sera probablement pas aussi enthousiaste.

Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique soutiennent que ce Sénat non élu est illégitime — et ils pourraient donc voter contre le projet de loi. Le gouvernement libéral minoritaire aurait alors besoin de l’appui des députés conservateurs.

M. Harder a reconnu que certains sénateurs voulaient aller plus loin en supprimant complètement la notion de « groupes partisans » au Sénat. Mais il croit que cela aurait été « irrespectueux » pour les sénateurs qui ont choisi de demeurer au sein d’un caucus conservateur. Cela pourrait donc signifie que les conservateurs des deux chambres s’opposeraient au projet de loi.

Le chef conservateur, Erin O’Toole, a déjà promis d’encourager les provinces à faire élire leurs sénateurs, qu’il nommerait ensuite au Sénat s’il devenait premier ministre.

M. Harder rappelle que rien dans le projet de loi S-4 n’empêcherait M. O’Toole de changer la façon dont les sénateurs sont nommés à l’avenir, ou de revenir à un Sénat strictement partisan, s’il le souhaite.