Se disant exaspéré par l’avalanche de « commentaires agressifs » et parfois même « violents » sur les réseaux sociaux, le premier ministre François Legault fera dorénavant modérer sa page Facebook, devenue trop corrosive à ses yeux.

« Il faut faire quelque chose et on va commencer par cette page. J’ai demandé à mon équipe de faire le ménage. À compter d’aujourd’hui, on va essayer d’endiguer tous les messages qu’on juge agressifs, violents, menaçants, obscènes et aussi les menteries du genre théories du complot. Et les menaces vont être transférées à la police », a indiqué le chef de la Coalition avenir Québec, dans un long message publié samedi matin.

Si le climat était naguère « paisible » et « respectueux », François Legault reconnaît que le ton des échanges a « changé » dans les derniers mois. « À chaque fois que je fais une publication maintenant, j’ai droit à une avalanche de commentaires agressifs, parfois même violents, et à des insultes, des obscénités et même des menaces », affirme-t-il. En novembre 2019, le premier ministre avait présenté sa page Facebook comme un baromètre de l’opinion publique. « Si vous regardez ma page Facebook, je peux dire que 90 % des gens appuient ce que fait le gouvernement », avait-il dit.

Ce qui m’affecte le plus, c’est l’intimidation dont vous êtes victimes quand vous me laissez un commentaire d’encouragement. […] Vous vous faites tomber dessus par une meute de personnes agressives.

François Legault, premier ministre du Québec, sur Facebook

D’après lui, la grande majorité des Québécois sont encore respectueux. « Les insultes lancées par les “courageux” qui se cachent derrière un écran pour agresser les autres, ça ne m’impressionne pas pantoute. Ce sont des personnes lâches », fustige aussi M. Legault, en parlant de « pissous virtuels ».

Le climat toxique « trop intense » pour plusieurs élus

Quoique marginaux, ces internautes « font des dégâts parmi nos jeunes » et « auprès des élus », rappelle le premier ministre, en faisant référence à la série d’élus municipaux qui ont quitté l’arène politique récemment, en raison des messages haineux qu’ils recevaient en ligne.

Mardi dernier, le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, a annoncé qu’il ne solliciterait pas de nouveau mandat en novembre, en citant le climat toxique des débats publics. Selon lui, même sa conjointe n’échappait pas aux attaques sur les réseaux sociaux. « C’est devenu un peu trop intense », a-t-il confié à La Presse. Quelques jours avant, c’était le maire de Verdun, Jean-François Parenteau, qui révélait qu’il se retirerait en novembre, sensiblement pour les mêmes raisons.

La mairesse de Longueuil, Sylvie Parent, a aussi été victime d’intimidation en ligne dans la foulée du dossier des cerfs du parc Michel-Chartrand.

« Ce sont toutes les personnes publiques – artistes, sportifs, animateurs, etc. – qui subissent les insultes, les obscénités, les menaces », illustre M. Legault, pour qui la critique saine et constructive est « normale », pour peu qu’elle ne tombe pas dans le contenu haineux ou violent. « Une des choses que j’appréciais le plus de cette page, c’était de vous lire. Vos encouragements, bien entendu. Mais aussi de lire les critiques, les problèmes que certaines personnes vivaient et qu’elles exprimaient avec respect », conclut-il.

Un débat à avoir

Pour le professeur de droit de l’Université Laval Louis-Philippe Lampron, spécialiste des droits et des libertés de la personne, la modération de commentaires en ligne comporte des risques dans la sphère politique.

« Oui, il y en a qui dépassent les bornes et qui tombent dans le personnel. Les élus demeurent des humains après tout, donc, à ce moment, le blocage est acceptable. Le problème, c’est que le terme “agressif” ou “violent” peut vite être instrumentalisé. Si on commence à jouer sur les mots et qu’on exclut quelqu’un à cause d’une critique virulente, ça ne marche pas. Le risque est là », analyse l’enseignant en entrevue.

À ses yeux, le meilleur moyen de prévenir des abus, d’un côté comme de l’autre, serait de confier la modération des pages des élus à une « instance gouvernementale » indépendante, qui aurait une politique claire et qui aurait pour mandat de « protéger les élus » en cas d’intimidation, par exemple. « Ça ne devrait pas être à l’équipe du premier ministre de trancher. Sinon, il y a le danger que ça devienne une page publicitaire, avec que des fans de François Legault, alors qu’il se sert de sa page pour communiquer avec la population », insiste M. Lampron.

« Il y a un débat à avoir à l’Assemblée nationale là-dessus. Pour moi, la solution d’Yves-François Blanchet – de dire que c’est sa page personnelle –, on doit l’exclure d’un revers de main. Ça reste des canaux publics où on véhicule du contenu aux citoyens », conclut le spécialiste.