(Québec) Si 2020 a été marquée par la crise sanitaire au Québec, l’année politique 2021 promet de raviver le débat identitaire.

L’année qui s’achève aura permis à la population de tester la capacité de François Legault de gérer une pandémie. En 2021, il subira un autre genre de test, en pariant sur sa capacité à imposer l’usage du français dans toutes les sphères d’activité et dans tous les coins du Québec, à commencer par le centre-ville de Montréal.

Après deux ans de promesses et de tergiversations, sans compter un changement de ministre, le gouvernement Legault semble fin prêt, en cette troisième année de mandat, à relancer le débat linguistique.

Si on en juge par les engagements pris par le ministre responsable du dossier, Simon Jolin-Barrette, il faut s’attendre à une réforme en profondeur de la loi 101, cette mythique et controversée Charte de la langue française adoptée par le gouvernement de René Lévesque en 1977.

Après la loi 21 sur la laïcité de l’État, le gouvernement Legault voudra renforcer sa posture nationaliste avec un bouquet de mesures législatives « costaudes » destinées à privilégier, en exclusivité ou non, la langue française dans l’administration publique, les commerces, le réseau de l’éducation et les milieux de travail. On voudra surtout s’attaquer à un enjeu délicat : l’anglicisation de Montréal.

L’avenir dira dans quelle mesure la législation proposée, attendue au printemps, contribuera à accentuer ou apaiser les tensions entre d’un côté les francophones et de l’autre les anglophones et les immigrants.

On verra aussi dans quelle mesure cette nouvelle mouture de la loi 101 risque d’accroître le clivage entre Montréal, métropole multiethnique où les langues et les cultures se côtoient, et l’ensemble des régions du Québec, plus homogènes.

La Coalition avenir Québec (CAQ) du premier ministre Legault est pratiquement absente de Montréal, ce qui ne l’a pas empêchée de former un gouvernement majoritaire en 2018 et de maintenir depuis une cote de popularité fort enviable. Une loi 101 de deuxième génération pourrait alimenter le sentiment de sécurité de sa base électorale francophone en régions et augmenter d’autant ses chances d’être reportée au pouvoir en 2022.

Rapport de forces Québec-Ottawa

Sa détermination à rouvrir le débat linguistique, en solidifiant le statut du français, seule langue officielle du Québec, offrira au gouvernement une occasion en or de tester son rapport de forces avec Ottawa.

On sait déjà que le gouvernement Legault va vouloir imposer aux entreprises à charte fédérale installées au Québec, comme les banques notamment, d’être assujetties à la loi 101, les obligeant à se doter d’un certificat de francisation.

Au pays des deux langues officielles, éventuellement en campagne électorale avant longtemps, on imagine mal comment le gouvernement de Justin Trudeau pourrait éviter de prendre position sur les intentions de Québec.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau

Un autre enjeu à surveiller pour évaluer où en est rendu le rapport de forces Québec-Ottawa sera la réponse du gouvernement fédéral aux demandes de Québec (et des autres provinces) d’augmenter substantiellement les paiements de transferts en santé.

La lutte à la pandémie a grugé des milliards de dollars dans les coffres de l’État québécois en 2020 et le premier ministre Legault a pris le leadership d’une croisade visant à convaincre Ottawa d’augmenter, sur une base récurrente, la part des dépenses en santé assumée par le gouvernement fédéral, qui passerait de 22 % à 35 %, soit 28 milliards de plus annuellement versés aux provinces, dont 6 milliards au Québec.

Ce sera une question de gros sous, mais aussi de champs de compétence. Jaloux de sa compétence en santé, le Québec veut l’argent du fédéral, mais refuse mordicus toute condition assortie au financement, dont l’imposition de « normes nationales » dans les centres d’hébergement pour aînés.

La négociation en cours sera cruciale pour la suite des choses, car Québec compte sur les sous d’Ottawa pour respecter son engagement de ne pas hausser les taxes et les impôts et de ne pas réduire les services publics, même si ses finances sont en piteux état. On n’anticipe pas moins de 30 milliards de déficits d’ici trois ans, un record absolu.

Accélérer la cadence

Au surplus, le temps commence à manquer pour remplir tous les engagements électoraux. Depuis le mois de mars, la gestion de la pandémie de COVID-19 a complètement bousculé le calendrier du gouvernement et forcé le report de plusieurs réformes annoncées.

Durant l’année qui vient, tout en orchestrant la vaccination de la population contre la COVID-19, une opération majeure sur le plan logistique, il devra donc accélérer la cadence, le premier ministre s’étant engagé en 2018 à se présenter à la ligne départ en 2022 après avoir effacé l’ardoise de ses promesses électorales.

Ce ne sont pas les chantiers qui manqueront.

Le gouvernement devra assurer la relance de l’économie, soutenir les nombreux secteurs affectés par la pandémie, contrer le chômage, multiplier les projets d’infrastructures, même si ses ressources financières seront limitées.

La conclusion des négociations à venir avec les employés de l’État pour le renouvellement des conventions collectives risque de contribuer à creuser encore davantage le fossé des finances publiques.

En santé, avec le vieillissement accéléré de la population, les attentes des patients québécois croissent au même rythme que les listes d’attente.

Le mot « patient » prend tout son sens : il faut attendre pour obtenir une chirurgie (au moins 130 000 interventions ont été reportées au cours des derniers mois), attendre à l’urgence pendant des heures pour espérer voir enfin un médecin (la CAQ s’est engagée à réduire le temps moyen d’attente à l’urgence à 90 minutes), attendre le jour où enfin notre nom figurera sur la liste des patients d’un médecin de famille, attendre d’obtenir de l’aide pour diminuer le stress et l’anxiété liés à la pandémie (la liste d’attente en santé mentale dépasse les 18 000 noms).

Sur le plan social, les chantiers ne manqueront pas non plus.

La lutte au racisme (systémique ou non), la refonte très attendue de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), la mise en œuvre du rapport sur l’exploitation sexuelle des mineures aux mains de proxénètes et de celui de la révision de l’accompagnement des femmes victimes de violence sexuelle dans les cours de justice sont au nombre des enjeux qui retiendront l’attention des élus au cours de l’année qui vient, en marge de la lutte à la pandémie, qui risque de s’éterniser encore un temps.