Gérer le Québec quand on traverse une crise sociale ou politique ? Dans l’histoire récente, tous les premiers ministres ont trouvé sur leur route des écueils importants. Si Pauline Marois a géré avec brio les contrecoups de la catastrophe de Lac-Mégantic, d’autres décisions se seront avérées moins judicieuses. La suite de notre série.

(Québec) Comme première ministre, Pauline Marois a eu une véritable crise à gérer. À 1 h du matin, le 6 juillet 2013, un convoi de 72 wagons-citernes déferle au centre de Lac-Mégantic. Le bilan est épouvantable : 47 morts, dans des conditions effroyables. Pauline Marois ne tergiversera pas une seconde, elle se rendra sur les lieux de la catastrophe le jour même. Son point de presse, empreint d’émotion, tombera au souper.

« C’est dans ces situations qu’on voit qu’un politicien est prêt à prendre les décisions importantes. C’était : on met tout de côté et on fait le nécessaire », se souvient Jean St-Gelais, secrétaire général, numéro un des fonctionnaires du gouvernement Marois. Mme Marois, à la différence de Bernard Landry par exemple, voulait voir tous les détails, s’assurer que toutes les décisions étaient prises.

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Pauline Marois, en septembre dernier

« Décider », à certains moments, le mot devient crucial. Une quarantaine d’édifices au centre-ville étaient détruits. À cause des émanations, plus de 2000 personnes avaient dû être évacuées de leur résidence. La facture dépassera 1,5 milliard, et il faudra des années avant que l’on décide de trouver un nouveau parcours à la voie ferrée.

À la réunion du Conseil des ministres, la patronne frappera sur la table. Pas question de s’enferrer dans les règles du Conseil du trésor, « on émettra les chèques, et on verra plus tard pour les décrets », a résumé un témoin. Elle a pris personnellement en charge les opérations, tous les ministères allaient être mis à contribution. Les fonctionnaires se réunissaient deux fois par jour au début de la crise. Mme Marois écoutait tous les spécialistes, même si c’était parfois long et pénible.

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Pauline Marois, à Lac-Mégantic, avec la mairesse Colette Roy-Laroche

« C’était là le meilleur côté de Pauline Marois, une femme d’État solide », dira un ex-employé politique, plus nuancé sur d’autres aspects de la gestion Marois. Sa réaction rapide, empathique, la fera grimper, elle et son gouvernement, dans les sondages.

François Legault s’appuie énormément sur son chef de cabinet, Martin Koskinen. Philippe Couillard avait une confiance absolue en son premier fonctionnaire, Roberto Iglesias. Mais rien dans ces tandems n’approche la symbiose, la proximité qui existait entre Pauline Marois et sa chef de cabinet, Nicole Stafford. Les deux femmes vivaient même sous le même toit à Québec, rue Saint-Louis, avant les élections de septembre 2012, puis à l’Édifice Price, une fois Mme Marois portée au pouvoir. Il n’y a pas de réunion importante où les deux n’étaient pas présentes. Il s’agissait d’une amitié très ancienne – elles s’étaient connues au début des années 1980. Stafford était au centre de toutes les décisions importantes, les autres, Dominique Lebel, Stéphane Gobeil, Stéphane Dolbec, étaient consultés, mais en périphérie, dans un second cercle éloigné.

Chez bien des péquistes, on attribue encore à Mme Stafford la décision de déclencher les élections au printemps 2014, un pari à l’évidence bien risqué. Mme Marois n’aurait jamais pris une décision contre l’avis de cette proche conseillère. Mme Marois cherchait manifestement le regard de son alter ego, analysait son langage corporel quand une question litigieuse apparaissait à l’ordre du jour, confient des témoins. Sur le déclenchement du printemps 2014, l’opinion des deux femmes sera vite arrêtée, sans qu’on puisse départager le poids respectif des opinions. Mais en dépit des conseils, la décision ultime, celle de déclencher ou non l’appel aux urnes, est toujours sur les épaules du premier ministre. Et il peut parfois se tromper.

Certains croient encore que Mme Marois aurait dû les déclencher l’automne précédent, à l’issue d’une réunion spéciale en Mauricie. Elle aurait alors surfé sur la sympathie de la « Dame de fer ». Dans les mois ayant suivi Lac-Mégantic, sa cote personnelle avait grimpé subitement de cinq points, la satisfaction à l’endroit de son gouvernement avait monté de neuf points. D’autres estiment qu’elle aurait dû gouverner le plus longtemps possible, bien au-delà du printemps.

Elle a déclenché parce qu’elle pensait gagner, c’est aussi simple que ça.

Dominique Lebel, chef de cabinet adjoint

À l’automne 2013, la Charte des valeurs québécoises de Bernard Drainville n’était alors qu’un document de réflexion – la consultation et sa controverse viendront en février 2014. Elle aurait évité l’embarras de déposer un budget sans la publication des crédits budgétaires qui, on le comprend, auraient sonné le glas de bien des engagements pris auprès de nombreuses clientèles. Le clientélisme sera inscrit dans l’ADN du gouvernement Marois. Le désastreux premier point de presse de la nouvelle élue en témoigne, un « départ canon » où la politicienne s’avancera rapidement, mais maladroitement, sur le gel des droits de scolarité, des hausses d’impôts rétroactives, un moratoire sur le gaz de schiste et la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2. À boire et à manger, pour tout le monde.

En février 2014, le deuxième budget de Nicolas Marceau vient hausser le tarif quotidien des garderies, qui passera de 7 $ à 9 $ l’année suivante. On met la table pour des discussions musclées avec le secteur public, les médecins, et on prépare une réforme du financement de la santé et des commissions scolaires. Rien de trop alléchant pour les électeurs. Marois pensait qu’elle ne pourrait survivre à un vote sur ce budget à l’Assemblée nationale. Des conseillers, pourtant expérimentés, jugeaient qu’en chute libre depuis l’arrivée toute récente de Philippe Couillard à la tête du Parti libéral, François Legault, chef caquiste, n’aurait pas le choix de trouver un compromis et de voter finalement en faveur du budget.

Pauline Marois avait obtenu un mandat minoritaire, elle avait seulement quatre sièges d’avance sur les libéraux à l’élection de septembre 2012. Elle décida souvent comme si elle avait le contrôle de l’Assemblée nationale ; « si elle en avait pris davantage conscience, les choses auraient été différentes », constate aujourd’hui Jean St-Gelais.

Les milieux d’affaires n’avaient pas fait de quartier au gouvernement Marois. On agitait volontiers le spectre d’une hausse de la taxe sur le capital, un engagement du programme péquiste, absent toutefois de la plateforme électorale de Mme Marois. Son échec à respecter sa promesse de revenir à l’équilibre budgétaire a aussi creusé le fossé entre Québec inc. et son gouvernement. Dès le début du mandat, elle avait créé une commotion ; incapable de se passer des revenus de la « taxe santé » créée sous Jean Charest, elle avait augmenté le fardeau des revenus élevés pour donner de l’oxygène aux bas salariés.

Son indécision quant à l’enjeu référendaire aura aussi plombé ses chances. Mme Marois était déterminée à ne pas s’engager à tenir une consultation sur la souveraineté, à envoyer cette question, l’obsession de bien des militants, dans un nébuleux livre blanc. En revanche, elle refusa d’aller jusqu’à promettre de ne pas tenir de référendum, ce que fera trois ans et trois chefs plus tard Jean-François Lisée. Elle perdra ses élections, jusque dans sa circonscription de Charlevoix.