(Ottawa) Jagmeet Singh est à l’étroit. Pressé d’un côté par les libéraux heureux de délier les cordons de leur bourse, d’un autre par les verts et leur conscience sociale, puis par les conservateurs qui séduisent les électeurs de la classe ouvrière, le chef néo-démocrate tâche de ne pas céder du terrain.

À première vue, le Nouveau Parti démocratique peut sembler en position précaire. Il siège au sein d’un parlement minoritaire où M. Singh a été sous pression pour appuyer le gouvernement dans un vote de confiance lié à l’affaire WE Charity (UNIS en français). Et le premier ministre Justin Trudeau vole régulièrement la vedette avec la gestion de la pandémie de COVID-19.

Mais aussi difficile que sa situation puisse paraître, M. Singh voit plus d’une lueur à l’horizon du NPD.

Le parti est en voie de rembourser d’ici janvier sa dette de 10 millions contractée lors de la campagne électorale de 2019, a-t-il déclaré lors d’une entrevue de fin d’année avec La Presse Canadienne.

Et il peut plaider sa cause auprès des électeurs en s’appuyant sur les diverses luttes menées par le NPD afin de rehausser les mesures d’aide à l’intention des Canadiens les plus durement touchés par la crise sanitaire.

« Je me suis battu dans les négociations avec les libéraux, en disant que nous n’appuierions pas une telle mesure ou une telle motion à moins qu’ils garantissent de continuer la PCU », affirme-t-il, en faisant référence à la prestation de 500 $ par semaine qui avait été déployée face à la vague de mises à pied au printemps dernier.

Jagmeet Singh dit être derrière une bonification de la subvention salariale fédérale à 75 % au lieu des 10 % prévus en mars. Il s’attribue aussi le mérite des congés de maladie payés inclus dans la mise à jour économique du mois dernier.

Il ne semble pas non plus dérangé outre mesure par les efforts du chef conservateur Erin O’Toole pour courtiser les Canadiens de la classe ouvrière.

« Qu’est-ce qu’ils ont vraiment accompli ? » demande-t-il.

Les conservateurs soutenaient que la PCU démotiverait les travailleurs à se remettre au boulot, rappelle-t-il.

Alors que les libéraux ont fait une croix sur leurs cibles budgétaires et dévoilé un ambitieux plan de tarification du carbone, les conservateurs pourraient avoir plus de marge de manœuvre en faisant valoir leurs arguments auprès des gens de métiers et banlieusards.

Et il y a beaucoup plus d’électeurs qui oscillent entre le bleu et l’orange qu’on pourrait le croire, souligne Karl Bélanger, président de la firme Traxxion Stratégies et ancien conseiller du NPD.

« Ce n’est pas tout le monde qui bouge de manière linéaire sur l’axe politique. »

Sur ce plan, Erin O’Toole reproduit la stratégie de Boris Johnson, le premier ministre conservateur du Royaume-Uni qui a réussi à détourner les électeurs du Parti travailliste en 2019. Cela évoque également l’attractivité de l’ancien Parti réformiste du Canada auprès des électeurs néo-démocrates déçus lors des élections fédérales de 1993.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef conservateur Erin O'Toole

Jagmeet Singh a continué de revendiquer un impôt pour les « ultra-riches » et de critiquer comment les subventions salariales ont pu servir à enrichir des actionnaires. Il n’a pas non plus cessé de relancer les libéraux pour la mise sur pied de programmes pancanadiens d’assurance-médicaments et de garde d’enfants, qui progressent à petits pas.

Le politicien de 41 ans a également redoublé d’efforts auprès des jeunes électeurs, réclamant l’élimination des intérêts sur les prêts étudiants, une mesure qui a été incluse dans l’énoncé économique fédéral. Il a également invité la populaire figure progressiste du Congrès des États-Unis, Alexandria Ocasio-Cortez, à l’affronter dans une séance de jeu vidéo diffusée en direct. Il est actif sur le réseau social TikTok, où une de ses vidéos sur une chanson de Fleetwod Mac a attiré 3,7 millions visionnements.

Le Québec est l’une des provinces où les néo-démocrates sont tombés de haut après les élections de 2011. Des 59 sièges raflés sous Jack Layton dans la Belle Province, il n’en reste plus qu’un seul.

Tandis que Jagmeet Singh a souvent dénoncé le racisme systémique et y a lui-même fait face avant et pendant sa carrière politique, le premier ministre François Legault, lui, rejette catégoriquement cette notion.

La tension a monté en juin lorsque le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a demandé à Jagmeet Singh de s’excuser après avoir traité de raciste un député bloquiste qui s’était opposé à une motion sur le racisme systémique de la GRC. M. Singh avait été expulsé de la Chambre des communes à cause de cet incident.

Il est néanmoins optimiste quant à ses perspectives au Québec.

« Il y a une culture politique progressiste très dynamique au Québec, où les gens se préoccupent profondément de la justice et se soucient des programmes sociaux et de choses comme le racisme systémique », avance-t-il, en évoquant plus particulièrement les jeunes Québécois.

Dur à dire si une élection fédérale se trame au printemps prochain, mais le poste de M. Singh à la tête du parti semble stable, voire assuré.

« On peut présumer qu’il est encore là sur une base probatoire », estime Peter Graefe, professeur agrégé en science politique à l’Université McMaster.

« La prochaine élection sera probablement assez révélatrice pour savoir s’il peut espérer être un Broadbent ou un Layton et durer pendant quatre ou cinq élections, ou s’il sera plutôt une Alexa McDonough. »