Acheter une caisse de bière au dépanneur en collant son téléphone sur un terminal pour prouver qu’on est majeur sera bientôt possible au Québec, affirme le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire. Mais le développement de ce « portefeuille numérique » québécois, dont le concept pourrait être présenté au Conseil des ministres dès le mois de mars, demeurera la prérogative du gouvernement.

Dans le cadre du vaste chantier d’« identité numérique » dans lequel le gouvernement a investi 42 millions de dollars à ce jour, tout document officiel délivré par le gouvernement et qui sert à identifier les citoyens – permis de conduire, carte d’assurance maladie, acte de naissance – pourra être intégré directement dans ce « portefeuille » numérique destiné à être conservé virtuellement dans les téléphones intelligents.

L’idée, loin d’être propre au Québec, connaît des développements extrêmement rapides partout dans le monde. La Chine, le Japon et Singapour ont déjà implanté les bases du modèle, en vertu duquel titres de transport, abonnements au gymnase et cartes de fidélité sont appelés à se « dématérialiser ». Des géants du secteur privé, comme Google, Apple, Visa et Interac, développent parallèlement des solutions pour faciliter les transactions commerciales.

Mais pour tout ce qui a trait à l’état civil, Québec veut garder le contrôle absolu.

« Tout ce qui relève de l’identité, c’est la mission du gouvernement, point barre », insiste le ministre, en entrevue avec La Presse pour parler de l’évolution du projet sur lequel planche son ministère.

Dans le scénario de l’achat d’une caisse de bière, évoqué par le ministre, deux opérations distinctes sont sous-entendues : vérifier l’âge du client, puis faire la transaction. « Ta carte de crédit est sur ton téléphone, de même que tous les détails de ton identité. Quand tu tapes ton téléphone sur le terminal, les deux opérations se font consécutivement, mais sans que tu aies d’intervention à faire. Le système du caissier va automatiquement chercher la preuve d’âge, qui autorise ensuite la transaction », illustre le ministre.

L’avantage : le système ne recueille que l’information dont il a besoin. L’utilisateur n’a jamais à révéler de données confidentielles sensibles, comme sa date de naissance ou son adresse. « Ces informations-là, elles sont visibles sur le permis de conduire ou sur la carte d’assurance maladie en plastique qu’on traîne présentement dans nos poches. Mais le commis du dépanneur n’a pas à les connaître. C’est pareil pour les livres que tu empruntes à la bibliothèque locale, ou les déchets que tu vas porter à l’écocentre. Le commis n’a pas à être informé de ton adresse quand tu vas porter des ordures. C’est beaucoup trop d’information. C’est zéro sécuritaire. Tout ce qu’il doit savoir, c’est que tu résides bien dans la municipalité », explique M. Caire.

Intérêt du secteur privé

De nombreuses entreprises, dont le Mouvement Desjardins, ont manifesté leur désir de collaborer au projet d’identité numérique du gouvernement en s’inscrivant au Registre des lobbyistes. Inévitablement, reconnaît le ministre, ces entreprises seront appelées à jouer un rôle dans le déploiement du concept.

Les compagnies d’assurance vont, par exemple, devoir développer des preuves d’assurance automobile, même si c’est le gouvernement qui fournit le permis de conduire et l’immatriculation.

Éric Caire, ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale

Les cartes bancaires virtuelles ou les cartes de donneur de sang, qui sont associées à l’identité, mais qui ne servent pas à authentifier une personne, seront aussi l’apanage du secteur privé.

Idem pour les terminaux qui seront déployés dans les commerces pour lire les informations virtuelles du portefeuille. « Le gouvernement ne va pas se lancer dans l’acquisition de lecteurs optiques à l’épicerie », assure M. Caire.

« L’entreprise privée a une grande faim pour ce genre d’innovations, parce qu’elles permettront d’augmenter la qualité des services et de diminuer les coûts de production, croit-il. Nous avons discuté avec plusieurs entreprises du domaine des télécommunications, du secteur bancaire et des services pour sonder leur intérêt. Aucune porte n’est restée fermée. Mais ce dont on veut s’assurer, c’est que les Québécois n’aient qu’une seule identité numérique à utiliser », insiste M. Caire.