(Ottawa) Alors que le gouvernement Legault veut renforcer la loi 101 au Québec, Mélanie Joly prépare un livre blanc sur l’avenir des langues officielles, une première en près d’un demi-siècle, a appris La Presse.

Attendu au début de la nouvelle année, ce livre blanc proposera une feuille de route exhaustive pour moderniser la Loi sur les langues officielles en mettant notamment l’accent sur la protection et la promotion de la langue française au Québec et au Canada dans son ensemble, selon nos informations. Mme Joly devrait déposer par la suite un projet de loi en bonne et due forme visant à mettre en œuvre les réformes qui seront contenues dans son livre blanc. Au passage, ces réformes toucheront aussi les politiques linguistiques et réglementaires du gouvernement fédéral.

Mme Joly, qui a adopté un discours résolument nationaliste au sein du gouvernement Trudeau depuis quelque temps, planche depuis de nombreux mois sur un train de mesures pour donner plus de mordant à la Loi sur les langues officielles à l’ère du numérique. Le livre blanc devrait être soumis au cabinet pour approbation au début de décembre, selon nos informations.

Il est plutôt rare qu’un gouvernement propose de soumettre un livre blanc durant son mandat. C’est l’option que retient un premier ministre quand il souhaite revoir de fond en comble les politiques du gouvernement en matière de défense, d’affaires étrangères ou encore de fiscalité. Mais cela n’a jamais été fait pour examiner l’avenir de la Loi sur les langues officielles.

Loi 101 renforcée

En coulisses, Mélanie Joly tient aussi à mettre au parfum le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui est ministre responsable de la Langue française, de certaines des intentions du gouvernement Trudeau. M. Jolin-Barrette doit déposer un train de mesures à l’Assemblée nationale pour renforcer la loi 101 au début de la nouvelle année.

Entre autres choses, le gouvernement Legault veut que la loi 101 s’applique aux entreprises ayant pignon sur rue au Québec qui sont réglementées par le gouvernement fédéral, telles que les banques et les entreprises de télécommunications.

Le Bloc québécois a déposé un projet de loi aux visées identiques à Ottawa. Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique appuient l’idée d’assujettir les entreprises à charte fédérale aux dispositions de la loi 101.

Dans les rangs libéraux, on redoute que le débat sur la loi 101, s’il se transporte à Ottawa, provoque de vives tensions au sein du parti. D’autant que les circonscriptions détenues par les députés libéraux dans la région de Montréal comptent une proportion non négligeable d’électeurs issus de la communauté anglophone.

En outre, des députés libéraux pourraient difficilement cacher leur malaise de voter à la Chambre des communes en faveur d’un projet qui aurait pour effet de renforcer la loi 101. Le nom du député libéral de Mont-Royal, Anthony Housefather, arrive en tête de liste des libéraux qui pourraient être réfractaires. M. Housefather a déjà été président d’Alliance Québec, une organisation qui défend les droits des Anglo-Québécois et qui est souvent monté au créneau pour dénoncer la loi 101.

Dans une entrevue à La Presse, en fin de semaine, la ministre Mélanie Joly a candidement dit craindre que le pays soit « au bord d’une crise linguistique ».

La question linguistique a d’ailleurs été propulsée à l’avant-scène de l’actualité au cours des dernières semaines, notamment après que la députée libérale de la région de Montréal Emmanuella Lambropoulos eut mis en doute le déclin du français dans la métropole, alors que les autres ministres du cabinet Trudeau du Québec affirment le contraire.

Mardi, le Parti conservateur a demandé à Mme Joly de déposer son projet de loi avant Noël. Dans une lettre qu’il a fait parvenir à la ministre, le député conservateur Alain Rayes a étoffé sa demande en proposant cinq mesures pour donner plus de mordant à la nouvelle loi. L’une d’entre elles verrait le gouvernement fédéral créer un tribunal administratif sur les langues officielles. Ce tribunal permettrait aux Canadiens qui estiment que leurs droits linguistiques ont été bafoués d’avoir recours rapidement à la justice.

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA), Jean Johnson, a déploré la lenteur du gouvernement Trudeau à agir dans ce dossier. Et il craint que toute réforme soit victime d’une défaite du gouvernement Trudeau, qui est minoritaire aux Communes.

« Cela fait depuis le début septembre que la FCFA demande le dépôt d’un projet de loi d’ici la fin de l’année 2020 pour moderniser la Loi sur les langues officielles. Toutes les consultations nécessaires ont été faites, et le gouvernement a tout en main depuis au moins un an pour passer à l’action », a dit M. Johnson.

La crise de la COVID-19 a montré, au cours des derniers mois, combien le besoin de moderniser la loi est criant. Comme l’a illustré le rapport du commissaire aux langues officielles sur la question, le français prend trop facilement le siège arrière dès qu’il y a une situation d’urgence au pays.

Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes

« Parallèlement, la fragilité du français tant au Québec qu’ailleurs au pays apparaît de plus en plus clairement, à tel point qu’on commence à parler de crise linguistique. Dans nos communautés, les francophones de l’Alberta le savent ; ils luttent depuis des mois pour la sauvegarde du campus Saint-Jean. Les Acadiens et les Acadiennes du Nouveau-Brunswick le savent aussi ; ils font face à un gouvernement qui communique le plus souvent en anglais seulement et n’est pas particulièrement sensible à la francophonie », a-t-il encore dit.

Débat exploratoire

Les députés de la Chambre des communes tiendront ce mercredi un débat exploratoire sur la fragilité de la langue française, à l’instigation du Parti conservateur. Tous les partis ont convenu de la pertinence de discuter de la situation du français, et ce, dans la foulée de la controverse provoquée par la remise en question, par la députée libérale Emmanuella Lambropoulos, du déclin de la langue de Molière au Québec. L’élue montréalaise a cédé sa chaise au comité permanent des langues officielles après cette sortie. À la veille de ce débat, les conservateurs et les bloquistes ont continué à pilonner le gouvernement lors de la période de questions aux Communes, les premiers en réclamant le dépôt d’un projet de loi de modernisation de la Loi sur les langues officielles d’ici la fin de l’année, et les seconds en enjoignant aux les libéraux d’appuyer leur projet de loi sur la « connaissance suffisante » de la langue comme condition à l’obtention de la citoyenneté ainsi que l’élargissement des dispositions de la loi 101 dans les entreprises relevant du fédéral. La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, leur a assuré que son approche était celle de la « main tendue » et a accusé le Bloc québécois de préférer la « chicane » à la collaboration.

– Mélanie Marquis, La Presse