Après avoir battu de l’aile, le camp souverainiste remonte la pente avec l’entrée en scène de Lucien Bouchard. Du côté fédéral, les Québécois découvrent tout à coup l’énergie d’un Jean Charest qui multiplie les discours. Les temps forts d’une campagne que l’on n’oubliera pas de sitôt.

« L’astuce » de Parizeau

Septembre 1994

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Le Parti québécois de Jacques Parizeau est porté au pouvoir. Les résultats sont mitigés toutefois par rapport aux attentes des stratèges péquistes. Parizeau met tout de suite en place un état-major avec comme objectif unique de préparer un référendum, qui aura lieu dans quelques mois, d’ici un an, annonce-t-il. Le Québec vit encore les secousses de l’après-Meech en juin 1990, puis du référendum de Charlottetown, en octobre 1992. En 1994, M. Parizeau sait qu’il y a une fenêtre, mais qu’elle ne restera pas longtemps ouverte. Parallèlement à son conseil des ministres, il nomme une série de délégués régionaux dont le mandat sera de préparer le référendum.

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Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, à Montréal, en juin 1994

Automne 1994

À Ottawa, le gouvernement Chrétien réplique. Tout sera mis en place pour accroître la présence du gouvernement fédéral au Québec. Dépenses de publicité, mise en place du programme de commandites dont les dérapages terniront longtemps l’étoile des libéraux fédéraux au Québec. Le Conseil pour l’unité canadienne sera très présent durant la campagne préréférendaire, jusqu’à la délivrance des brefs, le 1er octobre 1995.

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Lucien Bouchard amorce sa rééducation à l’Institut de réadaptation de Montréal, en janvier 1995.

1er décembre 1994

Le chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, qui sera un acteur déterminant de la campagne référendaire, est hospitalisé à Saint-Luc, pour ce que l’on croit être une phlébite. Deux jours plus tard, on diagnostique plutôt une fasciite nécrosante, la bactérie mangeuse de chair. Il sera amputé d’une jambe et sa vie sera en danger pendant 36 heures.

6 décembre 1994

Jacques Parizeau avait promis une « astuce ». Il dépose à l’Assemblée nationale son avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec. Il propose que « le Québec devienne démocratiquement un pays souverain, capable de faire ses lois, de prélever ses impôts sur son territoire et d’agir sur le plan international ». On y définit le processus devant mener à la souveraineté, on annonce aussi la mise en place de « commissions régionales » qui sillonneront le Québec dans les prochains mois, une période d’information pour préparer une déclaration de souveraineté. Le texte de l’avant-projet de loi est posté à 4 millions de foyers. Il se termine sur une page blanche ; Préambule : déclaration de souveraineté. Pour l’opposition libérale, Daniel Johnson affiche son dépit. Seul adéquiste, Mario Dumont prévient : pas de souveraineté sans « partenariat » avec le Canada.

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Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec

Fin décembre

Les commissions régionales se mettent en place. Le camp du Oui trouve de grosses pointures pour les diriger : Marcel Masse et Monique Vézina, deux anciens ministres de Brian Mulroney. À Québec, ce sera le maire Jean-Paul L’Allier. Un sondage montre que 55 % des répondants voient d’un bon œil la démarche du gouvernement. La popularité de Lucien Bouchard est au zénith ; 72 % des gens ont une opinion favorable de lui. À Québec, on met en place une équipe d’une vingtaine de hauts fonctionnaires dirigée par le regretté Carl Grenier pour préparer le dossier de négociation en cas de victoire du Oui. À Ottawa, on reste de marbre ; préparer une victoire du Oui serait une embarrassante admission.

L’assaut de la brigade légère

26 mars

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Le premier ministre Jacques Parizeau et le vice-premier ministre et ministre des Affaires internationales Bernard Landry, en septembre 1994

À un congrès des jeunes de son parti, Jacques Parizeau déclare que « les Québécois ne sont pas prêts à voter pour la souveraineté ». Le report du référendum à l’automne était déjà décidé à l’interne. Le 22 mars, en réunion du Conseil des ministres, il avait révélé qu’un sondage Léger indiquait que 45 % des répondants appuyaient la souveraineté, mais que 20 % seulement estimaient que le Oui allait l’emporter. « Ce résultat démontre que le camp souverainiste ne répond pas assez fermement aux attaques de ses adversaires », observe Parizeau, selon la transcription des délibérations. Le lendemain, Bernard Landry y va d’une déclaration qui blessera profondément Parizeau. Un référendum en juin « n’est pas une hypothèse hautement probable ». « Je ne veux pas être le commandant en second de la brigade légère qui fut exterminée en 20 minutes, en Crimée, à cause de l’irresponsabilité de ses commandants », laisse-t-il tomber, comme s’il voulait forcer la main à son patron.

5 avril

À Québec, Parizeau annonce officiellement que le référendum n’aura pas lieu avant l’été. Un sondage montre que seulement 41 % des gens approuvent l’idée que le Québec devienne un « pays indépendant ». La souveraineté n’obtient pas de majorité chez les francophones, même dans l’éventualité d’un échec des négociations avec le Canada.

7 avril

Devant un congrès bloquiste, Lucien Bouchard annonce que son appui est conditionnel à des institutions communes, économiques et politiques, entre le Canada et un Québec souverain. Il impose un « virage » en faveur d’un « partenariat » à la stratégie souverainiste, un passage obligé selon lui pour que le Oui ait une chance de l’emporter. Il laisse même entendre qu’il pourrait ne pas participer à la campagne référendaire. La tension est vive entre Bouchard et Parizeau ; le camp du Oui frôle le précipice.

19 avril

La Commission nationale sur l’avenir du Québec dépose son rapport ; « un Québec souverain pourrait proposer et négocier des structures politiques communes et mutuellement avantageuses ». Dans l’opinion publique, le virage fait recette ; un sondage Léger, le 21 avril, montre que la souveraineté est à 44,3 %, mais qu’elle grimpe de 10 points si on ajoute l’association avec le Canada. Dans un discours important, Parizeau parle désormais de « l’incontournable association ».

12 juin

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Jacques Parizeau serre la main de ses deux alliés politiques, Mario Dumont (à gauche), leader de l’Action démocratique du Québec (ADQ), et Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, à Québec, en juin 1995.

Cérémonie solennelle pour la signature de l’entente entre MM. Parizeau, Bouchard et Dumont. L’appui de Dumont est important ; cet ancien libéral est susceptible d’attirer avec lui des libéraux déçus des échecs de Meech et de Charlottetown. Aux élections de septembre 1994, le PQ avait obtenu 44,7 % des suffrages ; si on ajoute les 6,5 % de l’ADQ, le Oui peut l’emporter.

La « cage à homard »

10 juillet

La Presse publie un reportage-choc ; devant une poignée d’ambassadeurs intéressés par la suite du débat constitutionnel, Jacques Parizeau a soutenu qu’une victoire du Oui serait irréversible. Quand on lui demande ce qui arriverait si la population changeait d’idée, Parizeau rétorque : « Cela ne peut pas arriver, c’est impossible. Une fois que les Québécois auront voté Oui, ils vont être comme des homards. » Le mémo d’un des ambassadeurs, rédigé en anglais, parle d’un « lobster pot », un casier à homard, qu’on appelle une cage à homard dans la langue courante. La note a transité par un fonctionnaire fédéral. Jean-François Lisée, conseiller de M. Parizeau nie d’abord, puis menace la journaliste Chantal Hébert. Il la met aussi en contact avec un ambassadeur qui, à sa surprise, confirmera les propos.

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Le premier ministre Jacques Parizeau, en septembre 1995

Fin août

Une conférence des premiers ministres des provinces à Terre-Neuve est présidée par Clyde Wells, le fossoyeur de Meech. Parizeau s’y rend. Roy Romanow prévient : « Pas question de négocier avec un Québec souverain. » Un sondage Léger montre les deux options à égalité.

Le 6 septembre

Parizeau dévoile le « préambule » au projet de loi sur la souveraineté. Un texte poétique a été rédigé par Gilles Vigneault et Marie Laberge avec l’appui de Lisée. Lucien Bouchard et Mario Dumont brillent par leur absence au Grand Théâtre.

Question et date

Le 7 septembre

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Le premier ministre Jacques Parizeau est applaudi après le dévoilement de la question référendaire à l’Assemblée nationale, le 7 septembre 1995

Jacques Parizeau rend publique la question référendaire : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995 ? Oui ou Non ? » Le chef du Non, Daniel Johnson, observe que la formulation reste confuse, elle évoque stratégiquement une entente, un partenariat, mais évite de désigner le Québec comme un « pays » éventuel.

Le 8 septembre

Parizeau jongle avec la date du référendum. Il évoque publiquement le 13 novembre, mais opte finalement pour le 30 octobre. Il confirmera la date le 11 septembre dans le coup d’envoi du débat parlementaire sur la question référendaire.

9 septembre

Le camp du Non, longtemps muet, réplique. Jean Charest a une tribune en Estrie où il appelle à la mobilisation des fédéralistes. Un « réalisme fiscal au Canada » rendra incontournable une réforme en profondeur du fédéralisme, selon lui. Un sondage Léger montre les deux camps à égalité, mais Jean-Marc Léger observe que les électeurs souverainistes sont les plus susceptibles de changer de camp. Au même moment, un sondage SOM montre le Non en avance de huit points.

Un passeport qui fait du chemin

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Jean Charest, lors de la soirée référendaire, le 30 octobre 1995

17 septembre

Le Non lance une offensive en Beauce. Jean Charest pense à sensibiliser les membres de l’auditoire à la perte de leur passeport canadien. Son passeport de parlementaire est vert, un adjoint lui prête le sien, bleu. Derrière son lutrin, il le brandit triomphalement, un geste qu’il refera à chaque intervention jusqu’au jour du vote.

18 septembre

Rentrée parlementaire à Ottawa, Jean Chrétien refuse de s’engager à reconnaître le résultat du référendum, parce que la question n’est pas limpide, elle ne porte pas sur la « séparation » du Québec. Le camp du Oui va profiter d’un coup de pouce inattendu ; Claude Garcia, un homme d’affaires connu, présent au Conseil général du PLQ à Montréal, soulignera qu’il « ne faut pas juste gagner le 30 octobre, il faut écraser ! » La vindicte soulève une réprobation générale.

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Jean Chrétien pendant le référendum de 1995

Fin septembre

Les négociations achoppent autour d’un débat télévisé des chefs. Les réseaux sont parvenus à une entente sur un face-à-face Parizeau-Johnson, mais le camp du Oui tient à la participation de Jean Chrétien. Les souverainistes proposent un débat à quatre où le chef bloquiste, Lucien Bouchard, donnerait la réplique au premier ministre du Canada. Les négociations se poursuivront, mais sans espoir de conclusion.

2 octobre

Jacques Parizeau lance sa campagne. En soirée, il fait une allocution télévisée. « Ce rendez-vous référendaire, sera peut-être le dernier, la dernière chance que vous avez de vous donner un pays bien à vous. » Le patron de Bombardier, Laurent Beaudoin, évoque le déménagement de son entreprise si le Oui l’emporte. Les ténors souverainistes évoquent le coup de la Brink’s en 1970 et de la Sun Life en 1976.

5 octobre

Un sondage Léger estime que l’appui au Non est de 52,8 % ; le Oui obtient 47,2 %, un score qui galvanise les souverainistes. Un nuage important pour eux : 50 % des gens estiment que le Non domine la campagne référendaire et 25 % seulement estiment que le Oui a mieux fait. Le temps est à la chicane. Jacques Parizeau est en guerre contre les chefs d’entreprises fédéralistes, Jean Chrétien sermonnera les artistes en leur rappelant que le Conseil des arts du Canada et l’Office national du film sont leur gagne-pain.

Bouchard passe devant

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Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, à l’été 1995

Le 6 octobre

L’organisation souverainiste est inquiète, sa campagne tourne en rond. Les 16 responsables des régions se rencontrent à Montréal en présence de Jacques Parizeau et des 125 présidents d’association de circonscription. Leur message est clair : Lucien Bouchard doit jouer un rôle plus important, « en avant » dans la campagne. Le chef de cabinet, Jean Royer, se rend à la maison de M. Parizeau à Québec et propose que M. Bouchard passe devant la parade. Le premier ministre accepte rapidement, conscient que sa campagne marque le pas. Il le proposera le lendemain, par téléphone, au chef du Bloc. L’annonce sera faite à un rassemblement déjà prévu à l’Université de Montréal.

7 octobre

Devant 1500 sympathisants, Jacques Parizeau prend la parole. Pour que les Québécois aient confiance après un Oui au référendum, souverainistes comme fédéralistes, « il faut que le chef négociateur soit une personne qui inspire une confiance profonde […] quelqu’un qui est un bon négociateur, qui connaît le Canada anglais, qui est un souverainiste… Lucien Bouchard ! » « Il fallait une sorte de poussée additionnelle, que M. Bouchard intervienne, qu’il devienne le porteur de ballon ! », expliquera M. Parizeau à Mario Cardinal, pour Point de rupture, un ouvrage et une série de documentaires sur la campagne référendaire.

Mi-octobre

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Sur l’affiche de ce partisan du camp du Oui, la photo de Lucien Bouchard côtoie celle de René Lévesque.

L’irruption de Lucien Bouchard insuffle un nouvel élan à la campagne du Oui. Le camp du Non reste circonspect, c’est toujours le même autobus, et Jacques Parizeau sera le patron après le référendum, plaide-t-on, évitant d’attaquer directement le chef du Bloc. Car ce dernier, désormais sérieusement handicapé, « miraculé », suscite une adhésion spontanée. Dans un bain de foule, un électeur touchera son veston avec un chapelet ! « Des gens lui demandaient quasiment de bénir le drapeau du Québec ! », lancera plus tard Jean Chrétien. La campagne du Oui inspire désormais l’optimisme et des électeurs jusqu’ici fermés aux arguments souverainistes ont tout à coup tendu l’oreille.

16 octobre

Une semaine après l’entrée en scène de Lucien Bouchard, un sondage SOM estime que l’avance du Non est réduite à 0,6 %, on est à égalité. L’ascendant de M. Bouchard est clair ; 55 % des Québécois voteraient PQ s’il dirigeait le parti – 6 points de plus que Parizeau.

18 octobre

Des centaines de gens d’affaires se réunissent pour le Non au Palais des congrès de Montréal. Mais le rassemblement manque d’âme. Le jour même, un sondage CROP pour La Presse donne 44,5 % au Oui et 42,2 % au Non. Montréal est massivement fédéraliste, mais le reste de la province a viré bleu. L’inquiétude frappe le camp fédéraliste, les sondages défavorables s’accumulent.

Cafouillage du Non

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Daniel Johnson fils, alors premier ministre, accompagné de Thomas Mulcair lors d’une conférence de presse, en juillet 1994

21 octobre

En conférence de presse, à Longueuil, Daniel Johnson souligne que le manifeste du camp du Non affirme « qu’à l’intérieur de la fédération canadienne, nous formons une société distincte ». Jean Chrétien a déjà défendu ce document à la Chambre des communes, rappelle-t-il, et il serait « souhaitable » qu’il renouvelle cet engagement. Or, la reconnaissance du caractère distinct du Québec a semé la division chez les libéraux fédéraux du Québec. Sur-le-champ, Chrétien oppose une fin de non-recevoir à la requête de son allié. « Non, on ne parle pas de Constitution, on parle de la séparation du Québec du reste du Canada. » Leur collision fait le tour des médias. Le camp du Non publiera un communiqué laconique où, conjointement, MM. Chrétien et Johnson s’entendent pour se dire convaincus que le fédéralisme canadien est assez souple pour refléter la diversité du pays, « y compris le caractère distinct du Québec ». Le différend, même temporaire, plombe la campagne fédéraliste.

24 octobre

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Le premier ministre Jean Chrétien prend la parole, lors d’un rassemblement du camp du Non, à Montréal, à trois jours du référendum.

Jean Chrétien fait une intervention importante de la campagne référendaire, à Verdun. Devant 12 500 personnes réunies dans l’auditorium, il veut montrer plus d’ouverture aux doléances du Québec. Les Québécois « veulent voir ce pays changer […], ils veulent voir le Québec reconnu comme une société distincte, par sa langue, sa culture et ses institutions […], je suis d’accord ». Mais il ne parle pas de changement constitutionnel. On comprendra plus tard qu’il s’engageait à faire adopter une résolution à la Chambre des communes. Deux jours plus tard, il fait un discours à la nation et lance un appel aux Québécois pour souligner l’importance du vote et ses conséquences. Lucien Bouchard, comme chef de l’opposition, a un droit de réplique, et y va d’une attaque émotive contre Jean Chrétien et le rapatriement de 1980, « qui a déchiré la Constitution de nos ancêtres pour nous en imposer une autre qui a réduit les pouvoirs du Québec ». Un nouveau sondage CROP donne cette fois deux points d’avance au Oui.

Le hara-kiri de Parizeau

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Le Non victorieux de justesse, Jacques Parizeau, accompagné sur la tribune par sa femme Lisette Lapointe, prononce un discours controversé, prélude à sa démission.

27 octobre

Ministre fédéral, le Terre-Neuvien Brian Tobin s’est attelé depuis quelques jours à organiser une manifestation monstre de Canadiens de tout le pays à Montréal pour démontrer leur attachement au Québec. Philip O’Brien avait fait une démarche identique au Québec. L’affaire fait boule de neige ; le camp du Non veut rassembler 15 000 personnes à Montréal. Le lieu est tout désigné : la place du Canada. L’affaire est compliquée ; des libéraux influents de tout le pays, les compagnies aériennes, les commanditaires paient les factures en contravention avec la Loi québécoise sur les consultations populaires. Et 10 ans plus tard, on spécule encore sur le nombre des participants ; les décomptes vont de 150 000 à 200 000 personnes.

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Manifestation du camp du Non, le 27 octobre 1995 à Montréal

30 octobre

Après quelques jours d’angoisse, d’incertitude quant au résultat, le gouvernement Chrétien n’a toujours pas de scénario précis en cas de défaite. Ses sondeurs maintiennent que le Non l’emportera à plus de 54 %. Après avoir voté, Parizeau se rend au studio de TVA, pour une entrevue – sous embargo – avec le chef d’antenne, Stéphan Bureau. Si le Non l’emporte ? « Il n’y a pas de doute dans mon esprit, si c’est non, ma phase utile dans ce domaine est terminée. » Il restera au pouvoir quelque temps, « mais pas longtemps ».

En soirée, Parizeau et Bouchard attendent le résultat dans leur suite respective au Palais des congrès. Parizeau est impassible, ne dit rien. À partir de 20 h, les premiers résultats, des Îles-de-la-Madeleine, sont plutôt encourageants pour le Oui. Trente minutes plus tard, les résultats déferlent. À Québec, le Oui fait moins bien que ne le prédisaient ses stratèges. L’avance prise par le Oui s’étiole. En toute fin de soirée, le Non récolte 50,58 % des voix, le Oui est à 49,42 %. Si 27 145 personnes de plus avaient rejoint le camp souverainiste, c’est le Oui qui l’aurait emporté.

À 23 h 15, après avoir longtemps fait attendre l’auditoire, Jacques Parizeau monte à la tribune. Il ne lira pas le discours qu’on lui avait préparé. Des propos controversés laissent entrevoir sa démission, annoncée le lendemain. « C’est raté, mais pas de beaucoup. Puis, c’est réussi sur un plan. Si vous voulez, on va cesser de parler des francophones du Québec. On va parler de nous ! À 60 % on a voté pour […]. C’est vrai qu’on a été battus, au fond par quoi ? Par l’argent et des votes ethniques, essentiellement. Alors ça veut dire que la prochaine fois, au lieu d’être 60 à 61 % à voter Oui, on sera 63 ou 64 %, et ça suffira ! »