Vingt-cinq ans après le référendum sur la souveraineté du Québec, l’ancien président de Telus se dit fier d’avoir financé une grande opération de sollicitation téléphonique afin de convaincre les Québécois de voter non, même si la pratique a été condamnée par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ).

« Nous pensions que c’était la bonne chose à faire pour une compagnie canadienne », affirme Don Lowry, sans se défiler, dans une rare entrevue sur le sujet.

« De l’intérieur du Québec, ça pouvait être vu comme de l’interventionnisme ou de l’ingérence. Mais d’un autre côté, si le Québec se séparait, nous ne voulions pas nous dire : ‟Nous aurions pu faire quelque chose, mais nous étions trop timides, nous avions peur” », explique l’ancien président.

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Don Lowry, ancien président de Telus

Nous ne voulions pas que les générations futures se disent que le reste du Canada n’avait rien fait alors qu’une partie du Québec préconisait la destruction du Canada que nous connaissions.

Don Lowry, ancien président de Telus

La division AGT, qui était l’une des principales composantes de Telus à l’époque, avait offert des appels interurbains gratuits aux résidants de l’Alberta qui souhaitaient appeler un Québécois pour le convaincre de voter contre la souveraineté. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) avait demandé aux entreprises de téléphonies de ne pas se mêler du référendum de cette façon, mais AGT avait tout de même offert un remboursement pour un appel de cinq minutes juste avant le vote. En une seule journée, l’entreprise avait traité 21 000 appels de plus qu’à l’habitude.

Les appels interurbains coûtaient une fortune à l’époque. « Ce fut extrêmement bien reçu parce que la valeur était énorme. Aujourd’hui, les appels longue distance sont pratiquement gratuits. Mais à l’époque, être capable d’appeler sans frais, ce n’était pas trivial. Telus faisait sa part en tant qu’entreprise canadienne », explique M. Lowry.

L’idée, c’était comment une entreprise établie en Alberta peut-elle aider à porter une voix qui autrement n’aurait pas pu voyager ?

Don Lowry, ancien président de Telus

M. Lowry souligne qu’aujourd’hui, les moyens de communication permettent à chaque citoyen de faire entendre sa voix, et que personne n’aurait besoin de se faire offrir des appels téléphoniques gratuits pour tenter de convaincre une personne dans le cadre d’une campagne politique. « Ce qui était vu comme radical à l’époque serait vu comme quelque chose d’amateur et ridicule aujourd’hui. Les choses ont évolué, il y a des véhicules plus robustes », souligne-t-il.

Il demeure fier de cet épisode. « Je regarde toute l’adversité qu’il y a dans le monde, une région contre l’autre, un pays contre l’autre, et c’est très rare que je voie une initiative d’une entreprise qui s’élève au-dessus de la politique », affirme l’ancien président.

« Qu’on nous fiche la paix »

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre Jacques Parizeau prononce un discours aux côtés de Lucien Bouchard, en septembre 1995

Le premier ministre Jacques Parizeau avait dénoncé cette vague d’appels visant à influencer le vote. « Qu’on nous fiche la paix, qu’on nous laisse voter », avait-il martelé. M. Parizeau avait par ailleurs remercié Bell, « qui a été correcte » en refusant de participer à une telle initiative.

Le DGEQ avait alors déclaré au Soleil de Québec que l’intervention d’AGT était illégale. « On ne peut offrir des rabais pour la promotion d’une option, à moins que ceux-ci ne soient comptabilisés dans les dépenses d’un comité parapluie », avait martelé le directeur, Pierre F. Côté.

Mais le chien de garde du processus référendaire avait vite été confronté à une dure réalité : sa compétence s’arrêtait à la rivière des Outaouais. Il ne pouvait rien contre les entreprises établies à l’extérieur du Québec qui injectaient de l’argent en faveur d’un camp. « Il est difficile de faire appliquer une loi québécoise hors de la province. Je ne peux que souhaiter que ces compagnies suivent les règles du jeu », avait-il déclaré.

Le DGEQ avait finalement tenté de poursuivre plusieurs entreprises qui avaient financé le grand love-in du camp du Non à Montréal, mais il avait été débouté par les tribunaux.

Vingt-cinq ans plus tard, le DGEQ maintient sa position : les rabais consentis par des entreprises pour favoriser le camp du Non constituaient des infractions à la loi.

« Le Directeur général des élections a jugé que ces dépenses constituaient des dépenses référendaires et qu’elles auraient donc dû être autorisées et payées par l’agent officiel d’un camp référendaire. De plus, la loi interdit de réclamer ou recevoir, pour une dépense référendaire, un prix différent du prix courant », affirme Julie St-Arnaud Drolet, porte-parole du DGEQ.

L’organisme souligne toutefois que la Loi sur les consultations populaires n’a pas été mise à jour depuis près de 20 ans, et qu’elle devrait l’être s’il y avait un nouveau référendum. Il est donc hasardeux de s’avancer sur les dispositions qui prévaudraient aujourd’hui.