La semaine dernière, François Legault a lancé en privé un avertissement à son caucus : ne cédez pas à l’arrogance.

En effet, la tentation est presque irrésistible.

En regardant les sondages, les caquistes se retiennent pour ne pas se décrocher la mâchoire de bonheur.

Les chiffres donnent le vertige. La semaine dernière, Léger leur accordait 48 % des intentions de vote, ce qui se traduirait par plus de 90 sièges sur 125.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, premier ministre du Québec

Depuis une telle hauteur, leurs rivaux doivent leur paraître tout petits. Comme des fourmis qui grouillent…

Alors que commence la deuxième moitié de son mandat, le gouvernement caquiste est son pire ennemi.

On l’a vu en juin dernier avec le projet de loi 61, un tank pour écraser tout obstacle sur le chemin de la reprise économique. État d’urgence prolongé sans limite, immunité contre les poursuites, appels d’offres contournés, évaluations environnementales allégées : l’arsenal complet était prévu pour que le gouvernement puisse faire ce qu’il veut, quand il veut, partout.

Un gouvernement moins populaire n’aurait pas osé un tel coup de force.

« Vous devriez avoir honte », ont lancé hors micro des députés caquistes quand l’opposition a bloqué l’étude du projet de loi. Comme si la majorité leur donnait le droit de tout faire.

Les libéraux, péquistes et solidaires ont pourtant rendu service au Québec en forçant le gouvernement à réécrire son projet de loi.

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L’histoire ne manque pas d’exemples de gouvernements impopulaires, avec de bonnes raisons de l’être.

Il serait stupide de reprocher à M. Legault d’être aimé. S’il satisfait les Québécois, c’est parce qu’il réussit à prendre leur pouls.

C’est également un peu à cause de la COVID-19. Dans la grande majorité des pays, les citoyens se sont ralliés derrière leurs dirigeants.

Et enfin, il faut reconnaître que l’opposition laisse le champ libre à la Coalition avenir Québec (CAQ).

Après avoir imposé des compressions, les libéraux de Dominique Anglade se disent désormais « progressistes ». On se demande s’ils penchent à gauche ou à droite.

Quant aux péquistes, après avoir proposé leur polarisante charte des valeurs, ils semblent vouloir passer à un autre débat. L’environnement est une de leurs priorités, et ils se battent contre Québec solidaire pour les votes indépendantistes.

François Legault en profite pour s’étaler largement au centre. Nationaliste, il courtise autant les indépendantistes fatigués que les fédéralistes. « Pragmatique », il séduit à la fois les conservateurs et les progressistes modérés, avec entre autres ses investissements pour les élèves en difficulté et les aînés.

Pendant qu’une autoroute s’ouvre devant lui, ses rivaux s’entassent sur la voie de desserte pour se battre entre eux.

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Le gouvernement Legault a eu l’humilité de reculer après son projet maladroit de congés parentaux et sa réforme bâclée de l’immigration des étudiants et travailleurs étrangers.

Mais il a aussi recouru quatre fois au bâillon pour précipiter l’adoption des lois sur les signes religieux, l’immigration, les commissions scolaires et les tarifs d’électricité.

Le dialogue entre les partis devrait s’améliorer grâce au nouveau leader parlementaire libéral, André Fortin. Les relations entre son prédécesseur, Marc Tanguay, et son vis-à-vis caquiste, Simon Jolin-Barrette, étaient inélégantes. On aurait dit deux enfants dans une cour d’école, raconte un témoin. « Simon est orgueilleux. Tu lui donnes une pichenotte et il sort le bazooka. Et Marc faisait exprès pour lui donner des pichenottes… » Ils étaient rendus à envoyer des textos à un médiateur pour éviter de s’adresser la parole.

Ce qui ne changera pas à la CAQ, c’est le réflexe de gens d’affaires peu emballés par le travail parlementaire. Ils se plaignent d’y perdre leur temps.

Pourtant, l’éducation prouve que les débats à l’Assemblée nationale peuvent être utiles. Le ministre Jean-François Roberge affronte un trio redoutable, avec Véronique Hivon (PQ), Marwah Rizqy (PLQ) et Christine Labrie (QS). Leurs questions pointues forcent M. Roberge à faire mieux. On l’a vu avec la liste de questions envoyées par Mme Rizqy avant le dévoilement du plan de rentrée. Avec ses fonctionnaires, le ministre s’est assuré de répondre à chacune d’elles.

Bien sûr, le contraire est parfois vrai. Un mandat fort est nécessaire pour mener des réformes complexes. M. Legault utilise son « capital politique » pour foncer avec les maternelles 4 ans, une mission personnelle. Et une rare chance s’offrira à lui l’année prochaine pour renforcer la protection du français.

Mais pour d’autres dossiers, comme sa nouvelle version du projet de loi 61 sur la relance économique, le premier ministre aura besoin d’une opposition forte pour l’aider à s’aider lui-même.

S’il ne craint même plus de baisser dans les sondages, pourquoi se garder une petite gêne ? À un tel niveau, la popularité devient dangereuse.