(Ottawa) Après 50 ans, il est temps que le gouvernement du Canada s’excuse d’avoir promulgué la Loi sur les mesures de guerre, qui a mené à des centaines d’arrestations et de détentions arbitraires pendant la crise d’Octobre, estiment les bloquistes et les néo-démocrates. Une idée à laquelle les conservateurs ne souscrivent pas, et que le gouvernement Trudeau refuse de commenter pour le moment.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, signale dans une entrevue avec La Presse que ses troupes s’apprêtent à livrer cette bataille. « On n’a pas encore déterminé par quel mécanisme passera la demande d’excuses. On étudie différentes hypothèses… mais ce ne sera pas discret », prévient-il en plaidant qu’il est du « devoir historique » de la formation souverainiste à Ottawa de réclamer un acte de contrition.

« Prétendre qu’il y a[vait] un projet d’insurrection pour renverser le gouvernement du Québec, en faire le prétexte pour mettre en prison de façon sommaire quelque chose comme 500 personnes, c’est un geste d’une extrême violence », exprime-t-il. Cela dit, Yves-François Blanchet avance d’ores et déjà que l’appel du Bloc risque d’écorcher des oreilles et de heurter des sensibilités au Canada anglais.

« On va être très solennels dans notre approche, parce qu’on espère que les députés anglophones de la Chambre des communes ne commenceront pas à nous conspuer grossièrement », laisse tomber le chef à l’autre bout du fil.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

On ne s’attend pas à être accueillis avec bienveillance, car pour plusieurs commentateurs, le simple fait d’avoir vu le film de Félix Rose [le documentaire Les Rose] est un grave péché.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

En octobre 1970, sous la houlette de Tommy Douglas, le Nouveau Parti démocratique avait été la seule formation fédérale à dire non au déploiement de militaires dans les rues du Québec. Cinq décennies plus tard, le même parti ne devrait pas s’opposer à la démarche du Bloc québécois, indique son chef adjoint, Alexandre Boulerice, dans un entretien accordé à La Presse plus tôt cette semaine.

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Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique

« Il est clair que des abus graves ont été commis, des arrestations pas du tout justifiées […]. C’était pour mater un mouvement démocratique de la société civile, et aujourd’hui, 50 ans plus tard, le gouvernement canadien devrait présenter des excuses officielles aux centaines de personnes qui ont été arrêtées pour absolument rien, de manière absolument gratuite », plaide-t-il.

S’excusera, s’excusera pas ?

Il va sans dire que des excuses concernant ce chapitre marquant de l’histoire québécoise auraient quelque chose d’assez particulier. C’est qu’elles proviendraient du fils de celui qui a fait le geste : Pierre Elliott Trudeau. Cela dit, depuis qu’il est arrivé à Ottawa, en 2015, Justin Trudeau a présenté des excuses au nom de l’État canadien à plus d’une reprise – et il n’a jamais prétendu que son père avait un bilan sans tache.

Il y a un peu plus d’une semaine, après le déboulonnage de la statue de l’ancien premier ministre du Canada John A. Macdonald, à Montréal, il a cité Pierre Elliott Trudeau de son propre chef afin d’illustrer le fait que les ex-dirigeants du pays n’étaient pas irréprochables.

À la fin février, alors que la crise des barricades ferroviaires battait son plein, Justin Trudeau a eu cette réponse lorsqu’on lui a demandé s’il envisageait de déployer des militaires pour la résoudre : « On n’utilise pas l’armée contre des civils canadiens. »

Sans prétendre lire les feuilles de thé, Alexandre Boulerice constate que, ce faisant, le premier ministre « semble avoir ouvert lui-même la porte [à des excuses], comme s’il voulait y aller ». Mais ultimement, l’élu montréalais en vient à cette conclusion : « M. Trudeau a l’habitude de présenter des excuses, ce serait la moindre des choses de présenter des excuses envers des gens qui ont été arrêtés pour rien dans cette opération-là, qui avait été commandée par son père. »

Au bureau de Justin Trudeau, on n’a voulu offrir aucun commentaire, vendredi, sur ce qui pourrait être dans les cartons pour souligner le cinquantenaire de la crise d’Octobre.

« Lourd de sens »

Le Parti conservateur ne voit pas de raison de présenter des excuses. « De notre point de vue, non. Je ne veux d’aucune façon diminuer l’impact de la loi sur les gens qui l’ont subie, mais les excuses d’un gouvernement, c’est lourd de sens. C’est pour ça qu’il faut [en présenter] au compte-gouttes », expose Gérard Deltell, dans une conversation avec La Presse.

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Gérard Deltell, leader parlementaire du Parti conservateur

Des excuses s’imposaient pour le traitement réservé aux enfants autochtones dans les pensionnats, estime-t-il. C’est ce que l’ex-premier ministre conservateur Stephen Harper a fait aux Communes en 2008, car ce système a brimé « des nations entières » et s’est « perpétué pendant des décennies » ; il n’y a donc « aucune commune mesure » avec ce qui s’est produit au Québec à l’automne 1970, insiste le nouveau leader parlementaire.

Mais pour ce député féru d’histoire, il est hors de question de passer la chose sous silence. « Comme parlementaires, on a le devoir de rappeler à la mémoire ces évènements-là, parce que c’est la seule fois dans l’histoire de notre pays qu’un élu du peuple [le ministre Pierre Laporte] a été assassiné par des terroristes. On ne peut pas mettre ça de côté dans notre histoire », exprime-t-il.

La commémoration pourrait passer par le dépôt d’une motion, ce qui ouvrirait la porte à la tenue d’un débat à la Chambre des communes. La reprise des travaux parlementaires est prévue le 23 septembre, avec la présentation du discours du Trône.