(Ottawa) Les récentes allégations contre la gouverneure générale Julie Payette, notamment au sujet des rénovations à Rideau Hall — sa résidence officielle — et des relations difficiles avec son personnel ont suscité un regain d’intérêt pour le rôle de la représentante de la reine au Canada. Que peut-on faire pour sanctionner celui ou celle qui occupe ces fonctions ?

Qui a le pouvoir de congédier le gouverneur général ?

La gouverneure générale est nommée par la reine, sur l’avis du premier ministre. À ce titre, seule la reine pourrait la renvoyer, si jamais cela devait arriver. Toutefois, il existe des nuances à cette règle.

Ainsi, une conversation entre elle et le premier ministre pourrait la convaincre de remettre une lettre de démission. Si elle refusait de partir, le chef du gouvernement pourrait alors demander sa révocation à la reine.

Il s’agirait toutefois de la solution de dernier recours, juge Philippe Lagasse, un expert de l’Université Carleton sur le rôle du pouvoir exécutif dans le système démocratique de type britannique.

« Le premier ministre doit se demander s’il vaut la peine de voir la situation s’aggraver si la controverse continue de faire les manchettes au cours des mois à venir, souligne-t-il. Dans une situation idéale, on veut régler ce problème de manière à ce que les deux parties sauvent la face et conviennent mutuellement d’une décision sans faire appel au Palais. »

Pourquoi la confiance du public envers la gouverneure générale est-elle importante, surtout lorsqu’il y a un parlement minoritaire ?

Techniquement, la gouverneure générale occupe la deuxième plus importante fonction au Canada, tout juste derrière la reine. Dans la hiérarchie héritée du système démocratique britannique, elle est un échelon au-dessus du premier ministre.

La gouverneure générale peut devoir prendre plusieurs décisions au sujet de la formation d’un gouvernement. Elle peut décider, par exemple, de proroger le Parlement, de mettre fin à une session parlementaire, ou de dissoudre le Parlement sur l’avis du premier ministre.

En situation minoritaire, la possibilité qu’un gouvernement soit renversé à la suite d’un vote de confiance est grande. La gouverneure générale peut donc jouer un rôle clé.

Cela s’était produit en 2008. L’ancien premier ministre Stephen Harper avait alors demandé à la gouverneure générale de l’époque, Michaelle Jean, de proroger le Parlement pour éviter d’affronter un vote de confiance qu’il aurait pu perdre. La décision avait soulevé la controverse.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L'ex-premier ministre Stephen Harper et la gouverneure générale Michaelle Jean lors du discours du Trône, en 2010

« Toutes les décisions que la gouverneure générale peut prendre concernant les prorogations et les dissolutions sont scrutées à la loupe. Si on a quelqu’un en position de vulnérabilité face au gouvernement, de quelque manière que ce soit, l’ordre des choses est sapé. On veut éviter cela dans la mesure du possible. »

Étant donné que la gouverneure générale est nommée sur l’avis du premier ministre, les questions entourant la dissolution du Parlement sont plus délicates si on remet en question son aptitude à exercer ses fonctions, ajoute M. Lagasse.

« On ne veut pas avoir l’impression que si cette personne est inquiète pour son avenir, elle s’alignera avec le parti politique le plus susceptible de la maintenir au poste. Il ne doit y avoir aucun doute : elle reste ou elle ne reste pas. Il n’y a pas d’entre-deux. On ne peut pas avoir la perception que le premier ministre puisse menacer de renvoyer la gouverneure générale pour obtenir d’elle ce qu’il veut. »

Dans quelle mesure la situation actuelle de Mme Payette peut-elle mettre en danger le gouvernement Trudeau ?

« Cela ne peut qu’être préjudiciable. On ne veut pas que la gouverneure générale fasse l’actualité de cette façon », dit Barbara Messamore, professeure d’histoire à l’Université de Fraser Valley.

Les anciens gouverneurs généraux ont déjà dû affronter des controverses liées à leurs dépenses et d’autres sujets. Toutefois, Mme Payette a souvent été confrontée à des questions remettant en cause son rôle au cours de son mandat.

Il y a eu les récentes controverses entourant les dépenses de plusieurs centaines de milliers de dollars pour les rénovations à Rideau Hall et les mauvais traitements allégués de la gouverneure générale envers son personnel.

Depuis son entrée en fonction en 2017, Mme Payette n’a pas habité sa résidence officielle. On lui a aussi reproché d’avoir joué un profil bas.

« Les allégations se sont égrenées. Elle semble avoir été mal à l’aise avec ce rôle depuis le début, avance Mme Messamore. Personne ne peut nier que Mme Payette est une personne remarquable et accomplie. Mais ces réalisations ne se traduisent pas nécessairement. On peut être vraiment accompli dans un seul domaine et ne pas être la personne idéale pour ce travail. »

M. Lagasse en convient. Lui aussi croit que les manchettes négatives accumulées depuis trois ans font monter la pression autour de M. Trudeau et de Mme Payette.

« Il y a suffisamment de débats et suffisamment de dommages causés à la fonction pour qu’il incombe au [cabinet du premier ministre] [Bureau du conseil privé] de considérer, s’ils ne l’ont déjà pas fait, et je suppose qu’ils l’ont fait, s’il est sage ou non de la maintenir en poste à ce moment-ci. »