(Ottawa) Le gouvernement Trudeau et les dirigeants des autres ordres de gouvernement se sont vu remettre un message sans équivoque mardi : l’heure n’est plus aux discussions, aux consultations ou aux longues études. Il est temps de passer de la parole aux actes pour lutter contre le racisme systémique qui continue de sévir au pays.

Le message est venu sous la forme d’une déclaration étoffée de sept pages du Caucus des parlementaires noirs, qui a accouché en quelques semaines de travail seulement d’une liste exhaustive de recommandations qui, selon ses membres, permettront de s’attaquer à ce fléau d’une manière efficace.

Entre autres mesures, les quelque 150 signataires de cette déclaration proposent de mesurer l’ampleur de la discrimination systémique par la collecte de données axées sur la race, d’adopter des mesures pour soutenir les entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs et d’éliminer les obstacles qui empêchent les Canadiens noirs ou autochtones d’avoir accès à la justice ou à la sécurité publique. L’élimination des peines minimales obligatoires, adoptées par les conservateurs de Stephen Harper, vient en tête de liste en matière de justice.

Ils proposent aussi que les gouvernements prennent les moyens pour que leur fonction publique reflète le visage de la population canadienne en embauchant davantage d’employés issus de ces communautés. Également, ils estiment qu’il faut reconnaître davantage l’apport artistique et économique des Canadiens noirs en soutenant leur culture et leur patrimoine.

« Nous prions les gouvernements d’agir immédiatement. […] Des rapports détaillés et des propositions sérieuses existent déjà. Le temps est venu de mettre en œuvre ces propositions et de consacrer les ressources financières suffisantes pour les appliquer efficacement », affirment les signataires de cette déclaration.

La réaction à la pandémie de COVID-19 prouve que les gouvernements peuvent agir rapidement et habilement en cas de crise. Les Canadiens noirs sont en état de crise. Il est temps d’agir. Les mots et les gestes symboliques, bien qu’importants, ne suffisent plus.

Extrait de la déclaration du Caucus des parlementaires noirs

Présidé par le député libéral de Hull-Aylmer, Greg Fergus, le Caucus des parlementaires noirs a été créé en 2015 et est composé de députés de la Chambre des communes et de sénateurs qui sont des Canadiens noirs ou des alliés des Canadiens noirs.

Fait important à noter, la déclaration du groupe a été signée par la presque totalité des ministres du gouvernement libéral de Justin Trudeau, signe que ce dossier pourrait être traité de manière prioritaire au cours des prochains mois. Des ténors du gouvernement comme les ministres Jean-Yves Duclos, Chrystia Freeland, Navdeep Bains, Mélanie Joly, David Lametti, Pablo Rodriguez et Steven Guilbeault, entre autres, ont apposé leur signature au bas de la déclaration.

La déclaration a été signée par des députés du Parti libéral du Canada, du NPD et du Parti vert. Aucun représentant du Parti conservateur n’a été invité à la signer au motif que le chef intérimaire Andrew Scheer a tergiversé lorsqu’il a été interrogé pour savoir si le racisme systémique était un fléau au Canada.

Trudeau dit vouloir « aller de l’avant »

Le racisme systémique a été propulsé à l’avant-scène de l’actualité à l’échelle planétaire à la suite du meurtre de George Floyd, cet Afro-Américain mort asphyxié à Minneapolis par un policier blanc qui a maintenu son genou sur son cou pendant près de neuf minutes. Sa mort a provoqué des manifestations sans précédent dans les rues des grandes villes aux États-Unis, au Canada et en Europe, entre autres.

Interrogé à ce sujet, mardi, le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à mettre en œuvre certaines des mesures proposées par le Caucus des parlementaires noirs, sans toutefois préciser lesquelles et sans donner d’échéancier.

Nous allons aller de l’avant avec des mesures concrètes et nous travaillons avec tous nos amis, alliés et partenaires pour déterminer dans quel ordre et quelles mesures seront les premières.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Lors de mes dernières tables rondes avec les communautés noires à Montréal, à Toronto, depuis un an, j’ai souvent entendu à quel point les désavantages et les barrières économiques sont un grand enjeu. On est en train déjà de travailler sur des programmes et on va évidemment accélérer ce processus », a-t-il ajouté.

Des moments difficiles pour Fergus

Joint par La Presse, le député Greg Fergus a dit souhaiter que les gouvernements démontrent la même volonté à combattre le racisme systémique qu’à contrer la COVID-19.

« Nous avons soumis une feuille de route bien détaillée de A à Z. Il faut agir maintenant si on veut être à la hauteur de nos aspirations », a-t-il affirmé.

Élu pour la première fois aux Communes en 2015, M. Fergus a vécu des moments difficiles durant sa vie, même depuis qu’il est député, en raison de la couleur de sa peau. À titre d’exemple, il a vu la stupéfaction dans les yeux de certains de ses hôtes, durant des voyages à l’étranger, quand il se présentait comme un député du Parlement canadien. 

On m’a déjà dit : “Vous êtes député ? Wow, je pensais que vous étiez l’adjoint d’un député.”

Greg Fergus, député libéral de Hull-Aylmer

Au pays, il s’est fait suivre dans le passé par les forces de l’ordre sans raison valable alors qu’il se rendait dans un grand magasin. « Ça m’est déjà arrivé, même après être devenu député. »

Philosophe, M. Fergus a un seul message à ceux qui refusent d’admettre qu’il existe un problème au pays. « La couleur de ma peau est noire. Je ne peux pas changer cela. Je n’y peux rien. Alors ce n’est pas moi qui ai un problème. C’est vous qui devez changer. »