(Québec) Quel que soit leur âge, les victimes d’agressions sexuelles hantées par leur enfance peuvent désormais réclamer que justice leur soit rendue, même si les actes reprochés remontent à plus de 30 ans.

Déposé le 4 juin, le projet de loi 55, parrainé par la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a été adopté en un temps record, vendredi, à l’unanimité.

Du coup, le délai de prescription de 30 ans qui était fixé pour pouvoir intenter une poursuite civile contre un présumé agresseur est aboli.

Il n’y a donc plus aucune limite de temps.

Ce délai de prescription, contesté depuis des années, était de trois ans jusqu’en 2013, au moment où le gouvernement péquiste avait monté la barre à 30 ans.

La rapidité avec laquelle la pièce législative a franchi toutes les étapes n’est pas étrangère à la complicité entre quatre femmes, qui ont marché main dans la main, résolues à corriger cette injustice : la ministre Sonia LeBel, la députée libérale et ex-ministre de la Condition féminine, Hélène David, la députée solidaire de Sherbrooke, Christine Labrie, et la députée péquiste de Joliette, Véronique Hivon.

Des personnes âgées, qui souvent auront mis des décennies à identifier un traumatisme survenu durant l’enfance — qu’on pense aux écoliers du passé agressés à répétition par des prêtres pédophiles —, ont désormais la voie libre pour dénoncer leur agresseur.

Fébrile, la ministre LeBel, qui vient ainsi modifier le Code civil, a qualifié le moment d’« historique » en faisant ses dernières remarques en Chambre avant l’adoption du projet de loi, qui ne compte que six articles.

Il s’agit « d’un petit projet de loi dans le nombre de ses articles, mais ô combien grand, immense projet de loi dans ses effets », a-t-elle observé, parce que ces crimes « touchent à l’âme » des gens.

Psychologue de formation, Hélène David a raconté avoir vu pendant des décennies défiler dans son bureau « des patients souffrir de traumatismes dus à des violences sexuelles, psychologiques, violence durant l’enfance, violence conjugale ».

Elle a observé que le temps était un facteur important à considérer pour ce type de crimes. « Le temps est quelque chose d’éminemment subjectif, quand on parle de temps psychique, de temps psychologique », a-t-elle fait valoir, convaincue que la nouvelle loi allait « vraiment » changer la société.

« On a vraiment fait un grand pas pour l’humanité du Québec », a-t-elle conclu.

La députée péquiste Véronique Hivon a joué un rôle actif pour faire avancer le dossier, en accentuant la pression sur le gouvernement pour qu’il respecte son engagement d’abolir ce délai de prescription.

À deux reprises en 2019, en février et en octobre, elle a fait adopter à l’unanimité des motions à l’Assemblée nationale visant à « exiger » qu’il légifère en cette matière, avant la fin de la session.

Vendredi, elle a tenu à rendre hommage aux victimes.

Car tout le processus ayant mené à l’adoption de la loi a été « une course à obstacles », surtout pour les victimes, a-t-elle fait valoir.

Ces hommes et ces femmes « ont porté ce combat-là à bout de bras au fil des années, année après année », sans jamais lâcher, a commenté Mme Hivon.

Selon la députée Christine Labrie, qui avait elle-même déposé un projet de loi allant dans le même sens, le message que doivent retenir les victimes, « c’est qu’il ne sera jamais trop tard » pour exercer des recours judiciaires, à partir de maintenant.

Cependant, si l’agresseur est décédé, la victime disposera de trois ans après sa mort pour intenter un recours destiné à la succession du défunt.

Fait exceptionnel, la loi aura même une portée rétroactive.

Ainsi, si une poursuite passée a été rejetée par le tribunal uniquement en raison du délai de prescription échu, la victime aura trois ans pour revenir à la charge.

La loi 55 stipule aussi que les excuses présentées par l’agresseur à sa victime ne constitueront pas un aveu au sens de la loi et ne pourront donc pas être admises en preuve.

Un enfant victime aujourd’hui de sévices sexuels pourra traîner en cour son agresseur dans 50 ans.

L’article 4 de la loi modifie le Code civil pour indiquer qu’elle vise toute recherche de réparation pour un préjudice lié à « une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint, et ce, sans égard à tout délai de prescription applicable avant l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Pour des sévices subis durant l’enfance, quantité d’études et des reportages ont démontré qu’il peut être difficile pour la victime de se remémorer les évènements traumatisants vécus il y a longtemps. Des décennies peuvent aussi être nécessaires avant de trouver la force de confronter en justice un agresseur.

La ministre LeBel s’était engagée à déposer un projet de loi avant l’ajournement des travaux de la présente session parlementaire. Il s’agissait d’un engagement électoral de la CAQ.