(Québec) La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) n’hésitera pas à s’adresser aux tribunaux pour forcer les organismes publics à embaucher des groupes historiquement victimes de « discrimination systémique » à l’emploi, notamment les minorités visibles et les autochtones.

Dans un rapport dévastateur publié mardi, la Commission démontre qu’après 20 ans d’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics, ces organismes « ont enregistré trop peu de progrès dans la représentation des Autochtones, des minorités visibles, des minorités ethniques et des personnes handicapées au sein de leurs corps d’emplois ».

Ainsi, « la représentation des personnes autochtones n’a pas connu de variation significative entre 2009 et 2019. Globalement, le taux de représentation est demeuré stable à 0,3 % », écrit la CDPDJ.

« La situation des minorités ethniques (qui ne sont pas des minorités visibles et dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français) est semblable à celle des Autochtones, à savoir que sa représentation n’a pas augmenté de manière significative. Celle-ci est passée de 3,1 % en 2009 à 3,4 % en 2019 », indique également la Commission. Pour les minorités visibles, « la Commission observe une hausse de leur taux de représentation, celui-ci étant passé de 2,7 % en 2009 à 6,3 % en 2019 ». Ces indicateurs sont toutefois en deçà des cibles établies.

La Commission montre les dents

La vice-présidente de la CDPDJ, Myrlande Pierre, s’impatiente face à cette situation « d’inégalité persistante ».

« On a beaucoup misé sur la sensibilisation par rapport à ces programmes, mais il faut maintenant des mesures plus contraignantes », dit-elle, prévenant que le Tribunal des droits de la personne sera désormais sollicité face aux organismes qui sont « réfractaires » à appliquer les programmes d’accès à l’emploi.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en 2019

Les programmes ne sont pas appliqués par les organismes. Il y a une espèce d’incompréhension et de préjugés qui persistent envers ces programmes. […] Le rôle des organismes, c’est de corriger les discriminations historiques dans le domaine de l’emploi pour que ces organismes soient représentatifs de la réalité sociodémographique du Québec.

Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Dès maintenant, la Commission publiera aussi des rapports chaque année, plutôt que tous les trois ans, afin de suivre l’évolution de la situation pour chaque groupe victime de cette discrimination systémique à l’emploi.

Plafond de verre

Dans son rapport, la Commission note tout de même que « les femmes représentent le groupe ayant obtenu la plus forte croissance de sa représentation dans les organismes publics. Évaluée à 53,9 % en 2009, celle-ci a atteint 65,3 % en 2019 ».

Or, un important bémol doit être précisé, poursuit-on, puisqu’il reste « encore plusieurs efforts à faire pour atteindre les cibles dans les postes cadres de plusieurs réseaux ».

« Le plafond de verre est toujours à l’œuvre pour les femmes », affirme Myrlande Pierre, constat qui s’applique aussi aux minorités visibles et aux Autochtones qui obtiennent un emploi dans un organisme public. Une fois en poste, la plupart n’arrivent pas à gravir les échelons vers des sièges de direction.

Ces constats de la CDPDJ visent exclusivement les organismes publics (comme les sociétés d’État) et non pas la fonction publique, qui n’est pas assujettie à la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics.

« Il y a un problème », admet Legault

La publication de ce rapport survient alors que la question du racisme systémique est abondamment débattue ces jours-ci dans la sphère publique. Le premier ministre du Québec, François Legault, s’est engagé plus tôt cette semaine à déposer « dans les prochains jours » un plan « pragmatique » pour lutter contre le racisme et la discrimination dans la province.

« Je reconnais qu’il y a un problème, il y a un problème, autant dans les ministères que dans les sociétés d’État. Il y a une sous-représentation, entre autres, des minorités visibles, des membres des différentes communautés. […] On doit se donner des objectifs concrets dans les futures embauches. C’est un vrai problème, c’est un problème qui date d’il y a longtemps, puis il faut agir », a plaidé mardi le premier ministre, réaffirmant qu’il lui fallait quelques jours avant de présenter ses attentes.

« Ce que je veux, c’est que d’ici la fin de mon mandat, qu’il y ait des actions, qu’il y ait des changements qui soient apportés », a-t-il affirmé, en promettant des résultats concrets aux mesures qu’il annoncera d’ici les élections de 2022.