(Québec) Le premier ministre François Legault n’a pas peur de la corruption : il a des comptables pour y faire face.

C’est ce qu’il a répondu, mardi, à un journaliste qui l’interrogeait sur le projet de loi 61 visant à renouveler l’état d’urgence et accélérer 202 projets d’infrastructures.

« On a Christian Dubé, comptable agréé, on a quelques comptables agréés dans l’équipe, a-t-il dit. Moi, honnêtement, là, ça ne m’inquiète pas, la corruption. »

Le premier ministre a aussi signalé la présence dans son équipe de l’ex-procureure en chef de la commission Charbonneau, Sonia LeBel.

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La ministre Sonia LeBel

Pourtant, le Comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau, composé d’universitaires, est loin de partager l’optimisme du premier ministre.

« N’avons-nous rien appris de la commission Charbonneau ? » demande le comité dans son mémoire présenté mardi soir.

Selon lui, le projet de loi 61 « crée des conditions extrêmement favorables à l’émergence de corruption, de collusion et autres malversations ».

« Le projet de loi a pour effet d’augmenter la quantité de projets à réaliser, de conférer un caractère d’urgence à ces projets, de réduire voire d’éliminer le cadre normatif de l’octroi des contrats, de multiplier les occasions d’interférences politiques et de conférer un pouvoir discrétionnaire considérable à l’exécutif », écrivent les auteurs.

S’il est adopté, le projet de loi 61 empêchera les citoyens de contester une expropriation. Il permettra au gouvernement de conclure des ententes de gré à gré, de changer les lois par règlement et de mettre les ministres à l’abri de poursuites judiciaires.

« Ils se disent : nous aimons le pouvoir, nous aimons être populaires et nous voulons nous assurer que nous entendrons de moins en moins de gens qui s’opposent à nos politiques, même au parlement. C’est de l’autoritarisme léger », a asséné en point de presse le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé.

Plus tôt, la présidente-directrice générale par intérim de l’Autorité des marchés publics, Nathaly Marcoux, avait lancé cet avertissement : « Nous aurions tort de relâcher la garde en cette période où nous devons, au contraire, être encore plus vigilants. »

La CAQ soupçonnée de « tourner les coins ronds »

Invités eux aussi à se prononcer sur le projet de loi 61, les environnementalistes ont mis en garde le gouvernement Legault contre une relance économique rapide qui « tourne les coins ronds ».

Le premier ministre Legault s’est plaint mardi que les évaluations environnementales au Québec pouvaient prendre « jusqu’à 11 mois ».

« Cette révision-là des processus ne devrait pas se faire […] avec un sentiment d’urgence en temps de crise », a averti Marc-André Viau, du mouvement Équiterre.

La Fondation David Suzuki a plaidé que l’État avait un devoir d’« exemplarité » en matière d’environnement.

Selon son analyste en politiques publiques, Sylvain Perron, les évaluations environnementales se feront plus rapidement le jour où le ministère de l’Environnement embauchera de nouveaux employés.

« En bon Québécois, il faut du “staff” pour analyser la quantité de projets qui vont être admis, et ils ont besoin de ressources », a-t-il dit.

Le député libéral Gaétan Barrette s’est placé du côté des groupes environnementaux.

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Gaétan Barrette

À ses yeux, le projet de loi 61 est inutile, dans la mesure où des projets peuvent être accélérés en appliquant mieux les règles et non en les contournant.

« On n’a pas besoin de 61, a-t-il martelé en point de presse, à moins que le gouvernement souhaite absolument se servir de 61 pour se donner un paquet de pouvoirs […], comme tout le monde le soupçonne. »

Il a affirmé que le projet de loi devra être modifié substantiellement, mais n’a pas demandé à ce qu’il soit retiré complètement.

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, partage cet avis ; selon elle, le gouvernement n’a donné aucune démonstration que le projet de loi 61 était nécessaire.

« La crainte, avec un projet comme celui-là, c’est de se retrouver […] avec des infrastructures en carton qui ont coûté peut-être 30 %, 40 % de plus, et qui, dans les faits, ont “by-passé” des règles de protection, des filets qu’on s’est donnés socialement pour protéger notre environnement », a-t-elle déclaré.

Le premier ministre Legault s’est montré ouvert mardi à ajouter des ressources pour faire les évaluations environnementales. Il a également indiqué qu’il était prêt à prolonger l’étude du projet de loi au-delà du 12 juin.