(Ottawa) « Faire campagne » pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU ? Alors que le monde est en guerre contre la COVID-19, le terme fait tiquer le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne. Mais la dernière ligne droite de la campagne se met bel et bien en branle – sauf que le format de la course a « beaucoup changé », confirme l’ambassadeur du Canada à l’ONU, Marc-André Blanchard.

« S’il y a un mot que je n’utilise plus, c’est ‘‘campagne” dans un temps comme celui-ci, quand on vit une crise mondiale sanitaire. Il faut bien choisir ses mots. L’idée, ce n’est pas de faire campagne, je pense que l’idée, c’est plutôt de montrer comment on peut faire les choses différemment, comment le Canada se démarque », a expliqué le ministre Champagne en entrevue avec La Presse.

Au-delà des considérations langagières, il reste que cette place à la table du Conseil de sécurité, Ottawa la souhaite ardemment, convient-il : « Est-ce qu’on veut avoir un siège ? Absolument. Est-ce qu’on fait les choses différemment ? Définitivement. Cette crise-là, je pense que ça met en valeur le Canada. Ça permet de faire les choses différemment. »

Il brandit comme preuve la série de « cold calls » (appels inopinés) qu’il a amorcée mardi soir auprès des représentants permanents des États membres des Nations unies.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François-Philippe Champagne, ministre des Affaires étrangères du Canada

« Un ministre des Affaires étrangères du Canada qui appelle un représentant permanent à New York en lui disant : ‘‘Écoutez, j’ai le goût de vous entendre, voici mon numéro de cellulaire”, je pense que ça fait partie de faire les choses différemment », a-t-il argué. « On redouble d’efforts, on arrive dans un dernier droit, certainement », a indiqué le diplomate en chef du Canada depuis son domicile de Shawinigan.

Le premier ministre Justin Trudeau a signalé dès son arrivée au pouvoir son intention de conquérir un siège temporaire au sein du plus puissant organe onusien. « Le Canada est de retour », a-t-il clamé en 2015. La compétition est toutefois très féroce dans le groupe régional auquel le Canada est rattaché : la Norvège et l’Irlande luttent aussi pour gagner l’une des deux places non permanentes pour un mandat de deux ans qui s’amorcera le 1er janvier prochain.

Forte pression

En théorie, le suspense devrait prendre fin dans un peu plus d’un mois. « L’élection aura vraisemblablement lieu autour du 17 juin. Ça pourrait aller à l’automne, mais c’est plus probable que ça ait lieu quelque part entre le 17 juin et le 17 juillet », a indiqué à La Presse l’ambassadeur du Canada à l’ONU, Marc-André Blanchard. La pression sur lui est forte : la gifle d’une deuxième défaite, après celle de 2010, serait encore plus cuisante compte tenu de l’argent, de l’énergie – et du « capital politique » – que Justin Trudeau a consacrés à cette quête. Alors, quelles sont les chances que le Canada recueille au moins les deux tiers des votes des 192 autres États membres ?

« On s’attend à ce que ce soit très, très serré. On parle de trois pays bien appréciés par la communauté internationale qui sont engagés de façon sincère envers l’ONU et l’ordre multilatéral », considère le représentant permanent d’Ottawa à New York.

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Marc-André Blanchard, ambassadeur du Canada à l’ONU

Je pense que le Canada a de bonnes chances de gagner, mais la compétition va être serrée jusqu’à la fin, et on ne le saura que le jour même.

Marc-André Blanchard, ambassadeur du Canada à l’ONU

Marc-André Blanchard aussi choisit soigneusement ses mots lorsque vient le temps de parler de la stratégie de campagne en ces temps pandémiques. « La crise de la COVID-19 a beaucoup changé cette campagne-là. Pour nous, il était beaucoup plus important d’agir de façon concrète et d’apporter du soutien, de l’aide, des ressources pour gagner cette guerre […] que de faire campagne pour un siège au Conseil de sécurité, aussi important que ce soit. Mais pour nous, il est aussi évident que l’un n’est pas incompatible avec l’autre », a-t-il exposé depuis son domicile de Toronto.

Mais ultimement, « que nous perdions ou que nous gagnions cette course, ça aura valu la peine pour le Canada, parce que ça nous a permis de faire le point sur chacune des 192 relations bilatérales que nous avons dans le monde, les mettre à jour », philosophe Marc-André Blanchard au sujet de cet effort auquel ont contribué les anciens premiers ministres canadiens Jean Chrétien et Joe Clark, ainsi que l’ex-premier ministre québécois Jean Charest au fil des derniers mois.

Et à ceux qui allèguent que le gouvernement s’est collé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis le début de cette crise pour ne pas nuire à ses chances de victoire, le chef de mission à l’ONU assure qu’il « n’y a absolument pas de lien entre la quête d’un siège au Conseil de sécurité et notre position sur l’Organisation mondiale de la santé ». L’agence spécialisée des Nations unies est soupçonnée d’être trop proche de la Chine, pays d’origine de l’éclosion du virus qui a fait quelque 260 000 morts dans 187 pays.

Un avis que partage François-Philippe Champagne. « Il y aura un moment pour se poser des questions sur la mission, le financement, le leadership, le système d’alerte, mais ce sera fait au moment opportun. Ce n’est pas lorsqu’un incendie fait rage qu’il faut se demander si on avait le bon détecteur de fumée. Travaillons avec les institutions qu’on a présentement, évitons de miner leur crédibilité », affirme le diplomate en chef du Canada, qui avait fait de l’Afrique l’une de ses premières destinations officielles à ce titre. Le bloc africain est le plus payant en matière de nombres de votes.

Des 193 États membres de l’ONU, 54 sont en Afrique. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui regroupe une majorité de pays africains, s’est rangée derrière Ottawa, mais l’appui est non contraignant, le vote étant de toute façon secret. Ottawa devra en récolter au minimum 128 pour obtenir l’un des deux fauteuils pour le mandat 2020-2021.