(Ottawa) Le gouvernement Trudeau est sur le point d’interdire des armes de type militaire, un geste accueilli avec un soupir de soulagement chez PolySeSouvient, où l’on milite depuis trois décennies pour le contrôle des armes à feu.

« Au Canada, il n’y a pas de place pour les armes qui ont été conçues pour tuer le plus grand nombre de gens dans le plus court laps de temps », a soutenu Justin Trudeau en conférence de presse lorsqu’il a été interrogé à ce sujet, jeudi.

Il n’a pas voulu entrer dans le détail du plan : des annonces viendront « dans les jours à venir ». Il n’a pas non plus établi de lien entre le moment choisi pour aller de l’avant et la tuerie qui a fait 22 morts en Nouvelle-Écosse.

Le gouvernement interdira certaines armes d’assaut de type militaire, y compris les AR-15 et celles utilisées lors de la tuerie de la Grande Mosquée de Québec, en 2017, et lors du féminicide de Polytechnique, en 1989, a confirmé une source gouvernementale à La Presse.

Au total, le gouvernement Trudeau prohiberait quelque 1500 variantes d’armes à feu au pays, et il pourrait le faire dès ce vendredi en publiant des changements réglementaires dans la Gazette du Canada, a indiqué cette même source.

La vice-première ministre, Chrystia Freeland, n’a pas confirmé qu’il s’agirait du véhicule législatif qui serait emprunté. « Je peux vous assurer que l’on va le faire très vite. On ne pense pas que l’on peut attendre », a-t-elle dit en conférence de presse.

Comme l’interdiction passera par un décret, le gouvernement n’aura pas besoin d’obtenir l’aval des autres formations pour déposer une mesure législative non liée à la COVID-19 – en vertu de l’entente entre partis, seuls des projets de loi concernant la pandémie peuvent être déposés.

Le programme promis de rachat des armes d’assaut de type militaire légalement achetées au Canada, quant à lui, devra être inclus dans un projet de loi et approuvé par les parlementaires, car il a une composante financière.

Les contours de ce plan seront précisés prochainement. Dans la plateforme électorale libérale, on signale que le gouvernement les rachètera « en offrant aux propriétaires des prix correspondant à ceux du marché ».

« IL ÉTAIT PLUS QUE TEMPS ! »

L’annonce a réjoui Nathalie Provost, survivante du drame de Polytechnique, qui a occupé le rôle de vice-présidente du comité consultatif sur le contrôle des armes à feu que le gouvernement libéral avait mis sur pied afin de l’aiguiller dans l’élaboration du projet de loi C-71, qui a été déposé tard dans le premier mandat libéral et est depuis devenu loi.

Mais elle ne peut s’empêcher de critiquer la lenteur des libéraux à décréter ces interdictions : « Il était plus que temps, s’exclame-t-elle en entrevue avec La Presse. Au 25e anniversaire de la fusillade, à mon premier face-à-face avec Justin Trudeau, il m’avait dit : “On va s’occuper de ça.” C’était en 2014 ! »

Et il y a encore beaucoup à faire, plaide Nathalie Provost : le gouvernement fédéral doit interdire les armes de poing à l’échelle du pays plutôt que de laisser aux municipalités la latitude de déterminer si elles souhaitent opter pour la prohibition. D’autant que la crise de la COVID-19 a éveillé en elle de nouvelles préoccupations.

« Ce que je crois, moi, c’est qu’au plan économique, on va avoir trois, quatre, cinq ans difficiles. Et quand l’économie va mal, les relations sociales risquent d’être plus difficiles ; plus de pauvreté, plus de violence domestique… les risques de dérive sont importants, et s’il y a plus d’armes, eh bien, c’est foutu », laisse-t-elle tomber.

Dans le camp opposé, la Coalition canadienne pour le droit des armes à feu a fustigé la démarche du gouvernement Trudeau. « L’interdiction se fera par décret ; en d’autres mots, il n’y aura aucune imputabilité. Même si vous n’êtes pas un amateur d’armes à feu, tous les Canadiens devraient être choqués de cette subversion de notre démocratie », a écrit l’organisation sur Twitter.

RÉACTIONS POLITIQUES

Le Parti conservateur s’est montré défavorable à la prohibition de ce type d’armes dans le passé. À la lumière de l’intention des libéraux d’agir, on a simplement argué jeudi que « le gouvernement ne devrait pas essayer d’utiliser l’émotion immédiate de [la tragédie qui s’est produite en Nouvelle-Écosse] pour apporter des changements politiques majeurs ».

Chez les néo-démocrates, on ne voit pas de problème à prohiber ces armes par décret plutôt que de le faire à l’issue d’un débat en Chambre « Si c’est ce qui est le plus rapide pour retirer ces armes, non, a indiqué une source au parti. Ce qui nous embête, c’est plutôt le fait que ça a pris tellement de temps. »

Le Bloc québécois attend de voir le libellé du possible décret avant de se prononcer. Mais il y a une semaine, la formation s’est dite favorable à l’interdiction rapide des armes d’assaut.

Du côté du gouvernement québécois, on a pris acte de l’intention fédérale. « Le projet de loi du gouvernement fédéral n’a pas encore été déposé. Nous allons attendre son dépôt et nous l’analyserons par la suite. Cela dit, nous sommes toujours ouverts à assurer un meilleur contrôle des armes à feu, notamment celles de type militaire », a-t-on déclaré au cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

- Avec Louis-Samuel Perron