(Québec) Il semble que François Legault ait accueilli avec un haussement d’épaules, un mélange d’indifférence et de déception, les messages d’alerte venus de Winnipeg. On prévenait Québec que le premier ministre Brian Pallister avait autorisé la publication d’une page de publicité dans des quotidiens du Québec pour attaquer, sur le ton de l’ironie, la loi québécoise sur la laïcité de l’État.

Les rapports entre les provinces sont ainsi faits. Les administrations souhaitent maintenir des relations normales ; comme individus, les premiers ministres jouent parfois une autre partition. À Québec, on a trouvé que cette fois, M. Pallister avait un peu poussé le bouchon : Winnipeg, avec son taux de criminalité, le sort peu enviable qui y est réservé aux autochtones, n’est pas le havre de béatitude décrit dans le message qui prétend vouloir attirer au Manitoba les Québécois qui voudraient fuir l’empire de la loi québécoise. Aux « 21 raisons pour déménager au Manitoba », François Legault pourrait en opposer autant pour demeurer au Québec. Le leader manitobain « aurait été mieux de mettre cet argent pour donner plus de services en français au Manitoba », a-t-il répliqué.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le Manitoba, dirigé par Brian Pallister, a publié une publicité pour rappeler « 21 raisons de se sentir chez soi au Manitoba », faisant référence à la loi 21 québécoise. 

Mais le Québec a déjà joué dans ce film des grimaces par-dessus les frontières : quand le gouvernement de Doug Ford se débattait avec la controverse des coupes dans les services destinés aux Franco-Ontariens, M. Legault avait fait hisser leur drapeau à l’Assemblée nationale. Au Salon bleu, les députés avaient voté une motion de blâme à l’endroit du gouvernement ontarien. Inversement, bien des provinces avaient répliqué viscéralement au Québec à d’autres occasions. Quand Robert Bourassa utilisa la disposition de dérogation en 1988 pour proscrire, avec la « loi 178 », l’utilisation de l’anglais dans l’affichage, il suscita un concert de récriminations – le Manitobain Gary Filmon retira sur-le-champ l’appui de sa province à l’entente du lac Meech.

On pensait qu’il ouvrirait les bras à l’hydroélectricité québécoise, angoissé par la facture de la mise à niveau de ses centrales nucléaires. Il fit plutôt le choix de maintenir les milliers d’emplois qui dépendent de ce réseau. À Queen’s Park cette semaine, les députés ont condamné à l’unanimité la loi québécoise sur la laïcité. Une proposition du NPD, et M. Ford n’était pas présent pour le vote, analysent des spécialistes à Québec. D’entrée de jeu, M. Ford a prévenu qu’il n’était pas question de parler de laïcité lors de la rencontre de vendredi.

François Legault rencontrait M. Ford pour souper hier soir. Les tensions de l’an dernier avec ce « capitaine Canada » paraissent désormais bien loin. À Québec, on a déjà eu de la difficulté à lire le plan d’action de l’Ontarien.

Car cette fois, cependant, MM. Legault et Ford sont devant la même partition : tous deux demandent qu’Ottawa accorde aux provinces l’argent promis pour les infrastructures de transports, mais surtout la latitude nécessaire à l’avancement des projets. « Ce qu’on essaie de faire avec M. Ford, c’est de faire front commun lorsqu’on parle à M. Trudeau. Il y a beaucoup de transports en commun en Ontario, entre autres des métros, il y a beaucoup de projets de transports en commun au Québec, mais c’est compliqué d’aller chercher la part du fédéral. […] M. Ford et moi allons essayer de convaincre M. Trudeau de laisser les provinces choisir ce qu’elles font avec les programmes d’infrastructures. » Doug Ford souhaite le prolongement du métro de la Ville Reine. À Québec, on a un souvenir tout frais des circonvolutions qu’il a fallu faire pour dégager le financement nécessaire au tramway de Régis Labeaume – la mairesse Valérie Plante a dû consentir à faire un pas de recul pour que le dossier de Québec puisse se boucler – au net plus de 18 mois de retard.

Les relations entre Québec et Toronto connaissent bien ces montagnes russes. En 1998, Lucien Bouchard avait fait campagne contre le « vent glacial venu de l’Ouest » ; il stigmatisait les coupes du gouvernement de Mike Harris. Un an plus tard, MM. Bouchard et Harris, avec leurs femmes, passaient un week-end ensemble.

Doug Ford était un adversaire véhément du gouvernement Trudeau, ce dernier le lui a bien rendu durant la campagne électorale. Après les élections, l’Ontarien promettait des relations plus courtoises à Ottawa.

Le face-à-face avec M. Ford vise aussi à dresser la table pour une rencontre spéciale du Conseil de la fédération, qui réunit les premiers ministres des provinces et des territoires. Depuis plusieurs jours, Québec mène une campagne diplomatique par médias interposés pour normaliser ses relations avec les provinces de l’Ouest. Dans une lettre ouverte publiée dans le Financial Post, Eric Girard, ministre québécois des Finances, soulignait que « le Québec veut être le partenaire de l’ouest du Canada. Il veut voir l’Ouest prospérer, faire partie de la solution ». Québec et Edmonton peuvent être des alliés, ils le sont déjà dans la contestation en Cour suprême de la loi C-69 sur les évaluations environnementales des grands projets. 

Deuxième partie de la stratégie, la ministre des Relations intergouvernementales canadiennes, Sonia LeBel, a, dans une entrevue au Globe and Mail, laissé entendre que le Québec appuierait l’Alberta qui réclame qu’on modernise le programme fédéral de stabilisation fiscale. Cette assistance pour les gouvernements qui encaissent un recul de plus de 5 % de leurs revenus est cependant limitée à 60 $ par habitant, un plafond inchangé depuis les années 80. Pour l’Alberta, la mesure a signifié l’an dernier 251 millions de dollars, une contribution insignifiante quand on considère le déficit de 8,7 milliards de la province, qui, il faut le rappeler, n’a pas de taxe à la consommation.

Lundi midi, les premiers ministres vont unanimement dire que les balises de ce programme de stabilisation doivent être revues. Les provinces vont parler beaucoup du financement de la santé – Ottawa a promis de mettre en place un programme national d’assurance médicaments qui, c’est inévitable, coûtera des sous aux provinces. Ottawa veut mettre de l’argent dans les soins à domicile ou en santé mentale, les provinces voudront avoir une marge de manœuvre quant à ces fonds qu’Ottawa veut attacher à ses propres priorités. Depuis Paul Martin et Jean Charest, le Québec a déjà profité de l’« asymétrie » pour le financement de la santé ; d’autres provinces trouveront que c’est une bonne idée ! Au Conseil de la fédération, les provinces s’attendent à être convoquées au début de 2020 pour une conférence fédérale-provinciale à Ottawa.