(QUÉBEC) « Surpris » du refus de Desjardins de financer la coopérative des travailleurs de Groupe Capitales Médias (GCM), le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, se demande « s’il y avait des forces en présence qui auraient pu faire dérailler la décision ». Car selon lui, « il y a possiblement apparence de conflit d’intérêts » avec la présence d’une dirigeante de Québecor au conseil d’administration du principal bras investisseur de Desjardins.

La présidente de Groupe TVA et vice-présidente du conseil de Québecor, Sylvie Lalande, préside le C.A. de Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD).

« Il est clair pour moi que la présence de Mme Lalande au conseil d’administration de CRCD doit susciter un questionnement. Par contre, je ne suis pas prêt à dire qu’il y a un conflit d’intérêts formel », a affirmé M. Fitzgibbon lors d’un entretien avec La Presse mardi. « Il y a possiblement apparence de conflit, c’est sûr. Je ne sais pas ce qui s’est passé. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de Groupe TVA et vice-présidente du conseil de Québecor, Sylvie Lalande, préside le C.A. de Capital régional et coopératif Desjardins.

La Presse a fait une demande d’entrevue avec Sylvie Lalande auprès de Groupe TVA, sans réponse jusqu’ici. Dans une mise en demeure envoyée la semaine dernière, le directeur des affaires juridiques de Québecor Média, Me Bernard Pageau, déclare que son patron Pierre Karl Péladeau, Sylvie Lalande et QMI « ne sont aucunement intervenus directement ou indirectement auprès de Desjardins quant à un potentiel investissement de Desjardins dans GCM ».

De son côté, Desjardins soutient que « Sylvie Lalande n’est pas intervenue dans le dossier ». « Et le dossier n’a pas été présenté au conseil d’administration de CRCD en raison de son risque et du montant », a ajouté sa porte-parole Chantal Corbeil.

Pour Pierre Fitzgibbon, il est « légitime » de se demander si la décision de Desjardins a un lien avec la présence de Mme Lalande au C.A. de CRCD. 

Je n’ai pas l’information qui me porte à croire que la décision de Desjardins est directement reliée à Québecor qui est impliqué dans le Mouvement. Je ne peux pas dire ça, ce serait intellectuellement malhonnête. Mais la question se pose.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

Il a ajouté : « Est-ce que dans ce cas-là Mme Lalande a eu une contribution à la discussion sur l’investissement ? J’espère que non. Parce que carrément, il y a apparence de conflit. Mais apparence de conflit ne veut pas dire qu’il y en a un conflit. »

Il se demande si Desjardins a pris des « des mesures pour s’assurer que le conflit potentiel » soit évité. « Il ne fallait pas que Mme Lalande ait aucune implication avec Desjardins sur cette discussion », a-t-il insisté. Il aimerait avoir la preuve que « le mécanisme que Desjardins a pris pour prendre la décision est un mécanisme totalement objectif sans que personne n’implique le groupe Québecor ».

Notons que la vice-présidente du C.A. de CRCD, Chantal Bélanger, siège également au C.A. de Québecor.

Une décision « paradoxale »

Pierre Fitzgibbon demande à Desjardins de reconsidérer son refus de financer le projet de coopérative des employés des six quotidiens de GCM. Un investissement de 2 millions était envisagé au départ. Il n’a pas caché sa déception au sujet de cette décision : lors d’une mêlée de presse, il a précisé d’entrée de jeu qu’il se retenait de faire des « commentaires trop acerbes » envers Desjardins.

« Mon rôle n’est pas de leur dire quoi faire », a-t-il déclaré. Mais « comme tout le monde », il juge « paradoxal » que le plus important mouvement coopératif ne vienne pas en aide à un projet de coopérative.

Il a raconté que le président de Desjardins, Guy Cormier, lui a téléphoné pour lui dire que l’investissement était trop risqué à ses yeux. « Ce à quoi je me serais attendu, pour être honnête, c’est que Desjardins s’assoie avec la direction de Capitales Médias et la coopérative, ce qui, je pense, n’a pas été fait », a affirmé le ministre. Une telle rencontre permettrait de trouver des « aménagements au plan d’affaires » afin « d’atténuer le risque », selon lui.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Cormier, président de Desjardins

Pour justifier la décision dans le dossier GCM, Guy Cormier a également fait valoir qu’il préférerait la création, par Québec, d’un fonds d’aide aux médias auquel Desjardins pourrait participer. « Desjardins a investi, que je sache, directement dans Le Devoir, par exemple », a répliqué M. Fitzgibbon. Du reste, un tel fonds « n’est pas requis présentement », selon lui.

Le ministre a souligné que comme le Fonds de solidarité FTQ, le CRCD est un fonds fiscalisé, auquel « le gouvernement du Québec donne un avantage fiscal » avec le crédit d’impôt au bénéfice des investisseurs qui achètent des actions.