(Québec) Une nouvelle fois, les choix vestimentaires de la députée de Québec solidaire Catherine Dorion ont défrayé la chronique cette semaine. Ses adversaires politiques ont-ils vraiment menacé de la faire expulser du Salon bleu ? Dans l’aquarium du parlement, tout le monde a, un moment, retenu son souffle. La comédienne a-t-elle scénarisé sa sortie, sachant qu’elle allait, le soir même, se trouver sur le plateau de Tout le monde en parle ?

Pas surprenant que les partis de l’opposition fassent si volontiers écho à ses entorses à la fameuse « tenue de ville ». Pour la Coalition avenir Québec, jeudi, les manchettes sur la députée de Taschereau étaient une occasion inespérée de faire diversion alors que le gouvernement Legault était dans le pétrin pour ses choix en immigration. Pour des députés d’arrière-ban, c’était une rare occasion d’obtenir un peu de visibilité jusque dans les bulletins de nouvelles. Mais la whip libérale Nicole Ménard a versé dans l’hyperbole cette semaine quand elle a soutenu que le comportement de Mme Dorion soulevait des questions d’ordre déontologique. On parle ici de décorum, une prérogative du président de l’Assemblée, François Paradis, et non de la commissaire à l’éthique.

En fait, les seuls perdants de ces psychodrames périodiques sont les collègues de Mme Dorion, les élus de Québec solidaire qui voient leurs interventions occultées par la conduite plus croustillante de la députée de Taschereau.

Porter un chandail en coton ouaté est une atteinte sans précédent au décorum attendu des élus à l’Assemblée nationale ? Des Doc Martens, un t-shirt seraient devenus le signe d’un mépris inqualifiable à l’endroit de ses commettants ? C’est avoir la mémoire un peu courte.

Le code vestimentaire des assemblées législatives varie considérablement. Aux Communes comme à l’Assemblée nationale, les hommes portent généralement le complet-veston, une solution facile, alors que pour les élues, le choix est plus vaste, ouvrant la porte à bien plus de décisions arbitraires.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Aperçu du Salon bleu

Peu de gens s’en souviennent, mais quand il était ministre de la Justice, sous Lester B. Pearson, Pierre Trudeau se présentait parfois aux Communes en sandales. Il était, il faut le dire, allergique aux formalités ; premier ministre, il avait fait mine de danser quand la reine Élisabeth avait eu le dos tourné.

Au début des années 80, le jeune député de Shefford, le regretté Jean Lapierre, s’était mis en tête de faire la promotion d’un designer de sa circonscription ; ses complets lui auraient parfois permis de décrocher un rôle dans Star Trek. À Québec, 20 ans plus tard, l’ex-ministre péquiste Réjean Hébert lui aurait fait une rude compétition avec des chemises et des vestons si colorés, si bigarrés qu’ils auraient rendu un caméléon schizophrène.

Après l’élection du Parti québécois, le jeune député Jean-Pierre Charbonneau se présentait à l’Assemblée nationale en sandales et en chemise à manches courtes. Il faisait chaud dans ce salon alors vert, lors de l’adoption de la loi 101 en plein été 1977. Le président de l’Assemblée, Clément Richard, l’avait rappelé à l’ordre. Devenu président lui-même, 30 ans plus tard, M. Charbonneau a transmis une note discrète à un élu qui s’était présenté sans cravate : « Vous n’avez pas le droit de faire ce que le président a déjà fait ! » René Lévesque était toujours en manches courtes, sous son veston. Plus récemment, Amir Khadir a dû précipitamment improviser une cravate avec un bout de tissu pour éviter une semonce.

L’arrivée de la télédiffusion de débats à l’automne 1978 n’a pas seulement fait passer du vert au bleu le Salon de la race. Elle a surtout uniformisé le code vestimentaire des élus. 

Les vestons, les cravates sont devenus la règle d’or, le lobby de plusieurs députés qui se voyaient en col roulé se tint coi, définitivement. On était parfois témoin d’écarts amusants : la vedette économique du PLQ sous Claude Ryan, André Raynauld, arborait souvent un nœud de cravate de son cru ; Kevin Drummond, ministre de l’Agriculture, arrivait en Chambre avec des bottes de construction.

Éphémère chef de l’Union nationale, un religieux, Michel Le Moignan, venait en Chambre avec son col romain. Élu pour le Parti égalité, Gordon Atkinson, un vétéran, portait parfois le kilt à l’Assemblée. L’élu de Notre-Dame-de-Grâce avait même gratifié d’un doigt d’honneur un vis-à-vis libéral. Dans le débat sur la laïcité, la députée libérale Rita de Santis avait porté un énorme crucifix au cou à son siège à l’Assemblée nationale.

Voilà pour le vestiaire. Le comportement de certains députés aux Communes ou à l’Assemblée nationale constitue peut-être un manquement plus grave au décorum de la Chambre. Aux Communes, un député néo-démocrate qui voulait sensibiliser le gouvernement à la cause des pêcheurs avait subitement sorti un énorme saumon de son pupitre. Dans l’opposition, Sheila Copps avait déjà grimpé sur une table en comité parlementaire pour haranguer le ministre conservateur Sinclair Stevens.

L’Assemblée nationale n’a jamais été en reste pour ce qui est des dérapages. Revenu de la Grande Allée en soirée pour siéger, un député libéral, Yvon Charbonneau, s’était mis en tête de partir avec la masse qui, sur le parquet de l’Assemblée nationale, symbolise le pouvoir conféré au Parlement. Dix ans plus tôt, un député néo-démocrate aux Communes, Ian Waddell, avait, lui, réussi son larcin. À Québec, Pierre Paradis a déjà été expulsé d’une commission parlementaire à la suite d’un échange trop intense. Ghislain Maltais, libéral de Saguenay, s’était fait gronder pour avoir fermé à double tour la porte du Salon bleu, empêchant des collègues de se rendre à leur siège.

Les excès de langage ne sont pas courants, mais surviennent parfois. Jean Charest a déjà traité de « petite chienne » la péquiste Elsie Lefebvre, qui laissait planer des doutes sur l’intégrité de sa femme, Michèle Dionne. Norman MacMillan a déjà traité de « grosse vache » une députée adéquiste, aujourd’hui décédée. Pire encore, la libérale Christine St-Pierre a lancé un « va donc c… » bien audible à Pauline Marois, alors première ministre. Mais ces faux pas furent bien vite pardonnés, plus rapidement oubliés que les toilettes de la députée solidaire de Taschereau.

Il est certain qu’en laissant entendre que les « vraies députées » portent la jupe courte, ont des allures de femme fatale, affalées sur une table au Salon rouge de l’Assemblée nationale, Catherine Dorion a, à raison, heurté bien des élues. Des milliers de photos de centaines de députés ont probablement été prises au fil des ans dans cette ancienne salle du Conseil législatif. Mais ce cliché pour souligner l’Halloween était inutilement provocateur.

Qu’est-ce qui pousse constamment Mme Dorion à opter pour le côté rebelle des choses ? Sa famille, les Dorion, a pendant des générations fait partie de la haute bourgeoisie de Québec. Son demi-frère Marc, juriste en vue, est associé à l’étude prestigieuse McCarthy Tétrault. Pour la petite histoire, le clan Dorion était viscéralement associé… aux conservateurs.