(Ottawa, Québec ) Le décès de l’ancien président français Jacques Chirac a provoqué de nombreuses réactions dans la classe politique canadienne, jeudi. Jean Chrétien, qui a dirigé le Canada de 1993 à 2003, garde le souvenir d’un «grand homme» qui a partagé son opposition à la guerre américaine en Irak.

« C’était un grand homme, a confié M. Chrétien à La Presse. Il a donné sa vie pour la vie publique. Il avait des idées et il les affirmait. Il a été fonctionnaire, il a été ministre, il a été premier ministre, il a été maire de Paris et il a été président. Durant neuf des 10 années où j’ai été premier ministre, il a été mon collègue comme président. »

Jean Chrétien évoque une relation extrêmement cordiale avec son homologue français, décédé jeudi à 86 ans. Il lui rendait encore visite à Paris à sa retraite.

« Il est venu avec moi dans le Grand nord canadien et la Terre de Baffin, a-t-il souligné. Il est venu au Lac-des-Piles. On était de très bons amis. Tout comme moi, il était contre la guerre en Irak. Nous étions très souvent de la même opinion autour de la table durant les sommets. »

Les différences d’opinions sur certains sujets ne semblent pas avoir ébranlé la relation entre les deux hommes.

« Au référendum de 1995, il avait eu une déclaration trop ambiguë pour moi, s’est rappelé M. Chrétien. On avait eu un échange assez fort à ce sujet. Mais quand j’ai quitté la politique en 2003, il a donné un grand dîner en mon honneur et il avait fini son discours en disant ‘Vive le Canada !’Cela m’avait fait plaisir ».

Un « grand leader »

Brian Mulroney, premier ministre du Canada de 1984 à 1993, a aussi tenu à rendre hommage à Jacques Chirac en entrevue à La Presse.

« C’est évidemment la perte d’un grand Français et un grand leader international. Je l’ai connu quand il était maire de Paris. Je l’ai connu comme premier ministre de la France et comme président de la République. En tout temps et en toutes circonstances, j’ai eu une association courtoise et agréable et directe avec Jacques Chirac », a-t-il souligné.

« J’ai eu l’occasion de le voir assez souvent, a poursuivi Brian Mulroney. Il a été un excellent maire de Paris, un excellent premier ministre et évidemment lorsqu’il est devenu président, il était admiré et bien respecté à travers le monde. »

L’ancien premier ministre canadien se rappelle d’un chef d’État sans prétention, au franc-parler.

« Durant une visite d’État, il était venu passer le week-end avec nous au lac Harrington. Il était distingué, mais il n’y avait pas de pétage de bretelles. Il était très amical, même en parlant de ce qu’on pourrait dire de la petite politique et de ce qui se passait à Paris, les carrières de différents joueurs importants. Tout le monde l’aimait pour ces raisons-là. »

« Un monument », dit Charest

Jean Charest, premier ministre du Québec entre 2003 et 2012, se rappelle pour sa part de Jacques Chirac comme d’un « monument » de la politique française.

PHOTO CHARLES PLATIAU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jean Charest et Jacques Chirac en 2007

« Je l’ai connu en 2003 lorsqu’il est venu en vacances au Québec pendant cinq semaines, a-t-il dit à La Presse. Il était à North Hatley dans les Cantons de l’Est, où nous on louait une maison, et on l’avait reçu avec Mme Chirac, les trois enfants, Michèle et moi. On en garde un très bon souvenir. Il était arrivé à 18 h 30 et il était reparti à 1 h du matin. On avait eu une soirée inoubliable. »

Après cette soirée, M. Chirac a invité la fille aînée de Jean Charest, Amélie, à travailler à l’Élysée, ce qui fut fait à l’été 2006.

« Il m’a raconté qu’il avait amené Amélie avec lui au Conseil d’Europe. Le Conseil d’Europe c’est la rencontre des chefs d’États et de gouvernements de l’Union européenne. Et c’est Amélie qui l’avait accompagné et qui prenait les notes pendant la réunion. Il m’avait dit pendant cette rencontre ‘’vous savez Jean, je voulais qu’elle voit’’. C’était très touchant. »

Jacques Chirac a également été un « appui » au projet d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, mené de front par Jean Charest à partir du milieu des années 2000.

« C’est intéressant parce que Barroso (NDLR : Jose Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne) avait été très étonné de recevoir un appel de M. Chirac pour lui dire qu’il appuyait le projet d’un accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, se souvient Jean Charest. Il était étonné parce qu’il disait que les Français ne sont jamais les premiers à appuyer un projet de négociation de libre-échange. Alors ça, c’est un projet auquel il avait participé. »

« Il voyait au Québec une partie de l’histoire de la France, a poursuivi M. Charest. Pour lui le Québec c’est une partie intégrale de l’histoire du peuple français. C’est une gaulliste. Il croyait beaucoup en cette grandeur du peuple français et il avait raison. Et il faut se rappeler qu’il incarnait en quelque sorte cet esprit français qui marque beaucoup l’humanité. Le meilleur exemple c’est son opposition à la participation à la guerre en Irak. »

Jacques Chirac avait d’ailleurs une « connaissance intime » du Moyen-Orient, qui a été mise en lumière lorsqu’il a refusé que la France s’embarque dans le conflit déclenché par George W. Bush.

« Ça a été pour lui une frustration que les Américains ne tiennent pas davantage de son avis là-dessus. Il avait une connaissance beaucoup plus fine du Moyen-Orient qu’avait M. Bush. D’ailleurs on en avait beaucoup parlé le soir où il était venu dîner à la maison », a souligné Jean Charest.

« Il avait un profond respect pour Bush père, mais on sentait qu’il avait été heurté par la façon dont Bush fils avait conduit les consultations et la décision qu’il a prise. Et malheureusement pour nous tous, il avait eu raison. Il avait raison. »