(Ottawa) Certaines victimes de la purge anti-homosexuelle dans la fonction publique fédérale ont été tellement dévastées par cette expérience qu’elles ont toujours besoin d’aide d’un thérapeute pour remplir des formulaires afin de recevoir une indemnité financière, même après plusieurs décennies, soutient un avocat.

Selon Doug Elliot, qui a mené à bien un recours collectif, plusieurs demandeurs demeurent si méfiants envers le gouvernement fédéral qu’ils craignent que le processus d’indemnisation soit une ruse complexe pour obtenir des renseignements qui seraient utilisés pour les sanctionner de nouveau.

En tout, 718 personnes — un nombre inférieur aux prévisions de Me Elliot — ont déposé les documents nécessaires pour l’indemnisation dans le délai imparti selon un règlement finalisé en 2018.

Ce règlement comprenait une somme globale de 50 millions à 110 millions pour les victimes de la purge. Les personnes admissibles pourraient recevoir de 5000 à 175 000 $, selon la gravité de leur cas. Certaines d’entre elles ont déjà reçu un chèque.

Le règlement constituait la pierre angulaire des excuses fédérales généralisées présentées en novembre 2017 pour des décennies de discrimination à l’encontre des membres de la communauté LGBTQ.

En vertu de politiques qui ont pris racine dans les années 50 et se sont poursuivies jusqu’au début des années 90, des organismes fédéraux ont enquêté, sanctionné et parfois licencié des membres gais et lesbiennes des Forces armées canadiennes, de la GRC et de la fonction publique, parce qu’ils étaient jugés inaptes.

Beaucoup de ceux qui ont conservé leur emploi ont été rétrogradés, ont été oubliés pour des promotions ou ont vu leur cote de sécurité annulée.

Les autorités craignaient à l’époque que la prétendue « faiblesse de caractère » des employés homosexuels les exposait à un chantage dans le climat de tension de la guerre froide.

« Cette mentalité était sans fondement et empreinte de préjugés. Malheureusement, elle a donné lieu à une véritable chasse aux sorcières », avait déclaré le premier ministre Justin Trudeau en présentant les excuses du gouvernement fédéral à la Chambre des communes en novembre 2017.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau a présenté les excuses du gouvernement fédéral aux employés de la communauté gaie congédiés en raison de leur orientation sexuelle, en novembre 2017.

Parmi les 718 demandeurs figurent 628 personnes ayant servi dans les forces armées, 78 fonctionnaires et 12 agents de la GRC.

Le groupe est composé de façon disproportionnée de femmes. Cela reflète le fait qu’un grand nombre d’hommes sont morts du sida. Les hommes ont aussi tendance à ne pas vivre aussi longtemps que les femmes. Le plus vieux des demandeurs, qui avait été expulsé de l’armée de l’air au début des années 1960, est aujourd’hui âgé de 92 ans.

Me Elliot pensait que le nombre de demandeurs s’élèverait de 750 à 1000.

Un grand nombre de personnes admissibles, y compris des personnes âgées non actives dans la communauté homosexuelle, n’ont jamais entendu parler de cette cause judiciaire.

Mais il y a un plus grand obstacle.

« Les personnes au courant du règlement rencontrent d’énormes difficultés psychologiques pour déposer leurs demandes, c’est le principal problème, a indiqué Me Elliot. Nous avons dû déployer des efforts extraordinaires pour encourager les gens et à les aider tout au long du processus. Certaines personnes ont dû s’asseoir avec leur thérapeute et remplir le formulaire lors de séances de thérapie. C’était une expérience assez commune pour nos demandeurs. »

Beaucoup se méfiaient de l’ensemble du processus.

« Il est difficile d’exagérer le niveau de paranoïa. Beaucoup de gens ont pensé que c’était un tour de passe-passe et un piège, et ils allaient mettre à nu leur âme au gouvernement, et celui-ci allait refuser de les payer, et utiliserait les informations contre eux en quelque sorte », a ajouté Me Elliott.

La plupart de ceux qui ont été sanctionnés ont finalement réussi à se remettre sur pied, a reconnu Me Elliott. Mais beaucoup ont traversé de longues périodes de chômage et ont souffert de problèmes de santé mentale, de dépendance ou d’itinérance.

Le règlement comprend des millions de dollars pour des mesures de réconciliation et de commémoration, notamment la construction d’un monument national à Ottawa, une exposition du Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg et la déclassification de pièces d’archives documentant le chapitre sombre.