Lorsqu’elle sort de Rideau Hall, le 18 juillet 2018, Mélanie Joly a devant elle des journalistes qui ont un seul mot en bouche : rétrogradation. Marquée au fer rouge par la saga de la « taxe Netflix », elle vient d’être dépouillée de son portefeuille au Patrimoine canadien.

Près d’un an plus tard, en faisant le bilan de ses réalisations à la barre du ministère où elle a été mutée – Tourisme, Langues officielles et Francophonie –, la députée assure que cet épisode lui aura été bénéfique. « Sincèrement, ça a fait de moi une meilleure politicienne », soutient-elle en entrevue avec La Presse.

« C’est sûr qu’au départ, ç’a été un petit choc, mais en même temps, je me suis dit : “OK, parfait, je vais apprendre de mon expérience, je veux savoir ce qui a moins bien été, comment je peux mieux faire les choses, et aussi, je veux que ce soit une leçon d’humilité.” »

Et celle à qui l’on a abondamment reproché d’abuser de la « cassette » y a aussi vu une occasion de retrouver une plus grande liberté de parole. « Une des choses que je voulais absolument faire, c’était m’exprimer comme j’ai bien envie de m’exprimer. Avec mes mots. Avec ma façon d’être ; bref, avec la fille que les gens ont connue [dans la course] à la mairie de Montréal », lâche Mélanie Joly.

« Pour finir, je pense que ce que les gens recherchent de leurs leaders politiques, c’est de l’authenticité. […] Et je trouvais qu’alors que j’étais complètement investie dans mes dossiers à Patrimoine, j’étais un peu plus loin des gens, alors qu’au final, dans ma vie de tous les jours, ça n’est pas comme ça que je suis », enchaîne-t-elle.

Le dossier Michaëlle Jean

L’un des premiers défis qui se présentent à elle, à l’automne 2018, est la candidature de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. La ministre aurait pu se brûler les doigts au sommet d’Erevan – l’ex-gouverneure générale persistait envers et contre tous à briguer un second mandat de patronne de la Francophonie.

« Il a fallu gérer le leadership du Canada au sein de la Francophonie. Pour moi, ç’a été vraiment de m’assurer de protéger les intérêts nationaux du Canada. Et je suis très contente qu’on ait été capables d’avoir Catherine Cano comme numéro deux de la Francophonie », souligne Mme Joly.

La crise franco-ontarienne

Un mois plus tard, le gouvernement de Doug Ford offre à la ministre une occasion en or de briller en abolissant le poste de commissaire aux services en français et en annonçant l’abandon du projet d’Université de l’Ontario français.

Une occasion que Mélanie Joly saisit aussitôt.

« Je me souviens, je suis à Vancouver, et ça sort sur le fil de presse. Je regarde mon équipe et je fais : “Ça n’est pas vrai qu’on va la laisser passer, celle-là.” J’ai voulu mettre énormément de pression politique sur [le chef conservateur] Andrew Scheer », affirme-t-elle.

Cette pression, elle l’exerce aux Communes en faisant porter au leader de l’opposition l’odieux des décisions prises à Queen’s Park. « Qu’il appelle son patron Doug Ford et qu’il fasse reculer le gouvernement [ontarien] », raille-t-elle notamment à l’intention d’Andrew Scheer dans l’une des tirades qui lui vaudront d’être taxée de partisanerie.

La ministre se défend catégoriquement d’avoir exploité l’enjeu pour marquer des points politiques. « Sincèrement, je rejette la question sur les fins partisanes », plaide-t-elle lorsque La Presse l’interroge à ce sujet. « Ce qui me rend extrêmement heureuse en tant que francophone et Québécoise, c’est d’avoir assisté à un grand mouvement de solidarité au Québec par rapport aux Franco-Ontariens, ce qui ne s’était pas produit depuis la Révolution tranquille », insiste-t-elle.

Le tourisme

Avant de clore la discussion, Mélanie Joly insiste pour parler de son autre dossier : le tourisme. « Oui, les langues officielles et la Francophonie m’ont rendue meilleure ministre. Mais avec le tourisme, je suis allée voir les gens sur le terrain, découvrir leur région, découvrir mon pays aussi », relate-t-elle.

En mai dernier, elle déposait un plan visant à créer 54 000 nouveaux emplois et générer 25 milliards dans le secteur d’ici 2025. Car le tourisme constitue un important vecteur de croissance économique, martèle-t-elle comme elle l’avait fait au lutrin face à Rideau Hall, le 18 juillet 2018, alors qu’elle tentait d’éluder les questions sur sa rétrogradation.

« Il n’y a pas de mauvais siège autour de la table du cabinet. Il n’y en a pas. Tu es au cabinet. Tu ne peux pas regarder de haut les responsabilités qui te sont confiées », plaide aujourd’hui la ministre, qui compte s’offrir une semaine de vacances aux îles de la Madeleine cet été avant de reprendre le collier et de tenter de se faire réélire dans la circonscription montréalaise d’Ahuntsic-Cartierville, le 21 octobre prochain.