(QUÉBEC) L’amitié de longue date de Guy LeBlanc avec le ministre Pierre Fitzgibbon lui a permis d’obtenir la présidence d’Investissement Québec. Cette relation a fait pencher la balance, puisqu’Ogder, la firme de chasseurs de têtes, avait tenu à souligner qu’un autre candidat, bien plus jeune, s’était nettement démarqué à l’étape des entrevues.

Issu d’une grande institution financière québécoise, le candidat avait eu droit à un entretien avec le ministre Fitzgibbon, qui, surpris, impressionné, avait suggéré à François Legault de le rencontrer. Le premier ministre s’était dit à l’aise avec l’une ou l’autre candidature, et M. Fitzgibbon a finalement choisi son ami Guy LeBlanc. Chez les dirigeants à Québec, on a jugé qu’à 63 ans, l’ancien patron de PWC serait plus à même de recruter des étoiles montantes dans les institutions financières. Nommer un candidat dans la quarantaine aurait bouché l’horizon pour les jeunes loups, ont expliqué des sources sûres à La Presse.

Pierre Fitzgibbon était bien placé pour comprendre cet argument. Bien des fois, il a espéré devenir numéro un dans l’organisation où il se trouvait, sans succès. C’est, confient des proches, ce à quoi il faisait référence cette semaine dans un point de presse étonnant. Quand il a évoqué les affrontements qu’il avait connus, il ne parlait pas de son rôle de joueur offensif – il mesure 1,94 m – chez les « Cactus », l’équipe de football du Collège Notre-Dame.

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE FITZGIBBON

Pierre Fitzgibbon, lors de son passage au Collège Notre-Dame

« Fitz » – c’était déjà son surnom au secondaire – a longtemps été vice-président à la Financière Banque Nationale. Il aurait pu espérer remplacer un jour André Bérard. Mais cela n’est pas arrivé. Par la suite, au conseil d’administration de la Caisse de dépôt, il aurait pu espérer obtenir le poste de vice-président, qui, finalement, a été attribué à un ami de longue date, Christian Dubé. Après avoir fait un succès d’une firme de biotechnologie de Québec, Atrium, on lui a versé une indemnité de départ, généreuse, il faut le dire, quand la firme a été achetée par des Américains. La politique est arrivée presque par hasard ; M. Legault l’a approché pour qu’il soit candidat en 2012, il a plutôt suggéré son ami Christian Dubé, l’actuel président du Conseil du trésor.

Avant les élections d’octobre 2018, dès le mois de mai, M. Fitzgibbon a reçu un coup de fil. Il a dit qu’il voudrait devenir président d’Investissement Québec. On lui a expliqué qu’à la guerre, on avait besoin de soldats. Il a longtemps hésité, souhaitant même, dans un premier temps, se présenter dans une circonscription où il serait sûr de ne pas être élu !

Mercredi dernier, beaucoup ont été surpris de la rage de Pierre Fitzgibbon à l’égard des médias. Dans un long point de presse, la « bibitte Fitzgibbon », comme il s’est lui-même décrit, a réglé ses comptes avec les journaux qui avaient écrit qu’un autre candidat avait été suggéré par les chasseurs de têtes pour diriger Investissement Québec. Il était aussi furieux qu’on ait rapporté sa proximité avec l’heureux élu, Guy LeBlanc, un ami de longue date avec qui il a même été partenaire dans une petite entreprise de produits naturels, Move Protéine. Autre affront, Le Journal de Montréal avait publié une photo de sa résidence – même sa mère lui en avait parlé. « Il était furieux. Personne n’avait prévu une telle agressivité. Par la suite, il a reconnu qu’il n’avait rien à gagner avec une telle sortie », confie-t-on.

Ulcéré de voir son intégrité mise en doute, après 20 minutes d’échanges, il a laissé tomber qu’il quitterait la politique s’il constatait qu’il était devenu un boulet, « une embûche » pour le gouvernement Legault.

Aussi, par bravade, il a prévenu la galerie : le ministre de l’Économie connaissait bien des gens dans les milieux d’affaires et il fallait s’attendre à ce que ses connaissances bénéficient d’autres nominations dans l’appareil public !

Le lendemain matin, chez Paul Arcand au 98,5 FM, il ne roulait plus les mécaniques. L’irascible ministre avait manifestement baissé la voile. Les nominations à venir à Investissement Québec relèveront, ça va de soi, du nouveau patron, M. LeBlanc. Plus de menaces de démission fracassante, après son coup de gueule. « Bien du monde lui a parlé », a-t-on expliqué à La Presse. Avec Christian Dubé, Pierre Fitzgibbon est probablement le membre du gouvernement le plus proche du premier ministre.

Bonne réputation

Dans les milieux d’affaires, « Fitz » a bonne réputation dans son très large réseau. « C’est un ami, je n’ai que du bien à dire à son sujet », se borne à déclarer Alexandre Taillefer – M. Fitzgibbon avait investi dans XPND, il s’en était retiré à temps, après les élections, l’automne dernier. Véritable institution pour la Financière Banque Nationale à Québec, Louis Paquet « garde un excellent souvenir » de ce vice-président « venu nous voir à Québec parce qu’il appréciait qu’on aide de jeunes entreprises à devenir publiques », se souvient-il. Surtout, son passage à Atrium aura marqué les mémoires à Québec. M. Fitzgibbon était « un gars prudent. La société a finalement été achetée par des Américains. Le titre est parti à 8 $ et s’est rendu à 24 $ », souligne M. Paquet.

Jacques L. Ménard, « président émérite » de BMO Groupe financier, n’a que de bons mots pour cet ancien concurrent. « C’est un gars d’envergure, il a une profondeur d’expérience. Il était perçu dans le conseil d’administration comme quelqu’un d’avisé, de sobre. Ce n’est pas un flamboyant », se souvient M. Ménard. 

« Il aurait pu être au Trésor, aux Finances, à l’Économie, ce qui a été le cas finalement. La vie l’a choyé, il n’a pas connu beaucoup d’échecs dans sa vie. Son choix du service public l’honore, parce qu’il n’a pas besoin de ça pour vivre. »

— Jacques L. Ménard, président émérite de BMO Groupe financier, à propos du ministre Pierre Fitzgibbon

La « profondeur d’expérience », c’est aussi ce que relève un autre banquier, Michael Fortier de RBC. « Il est l’un de ceux qui étaient les mieux préparés à devenir ministre de l’Économie au Québec. Il a été chef d’entreprise, prêteur, investisseur. Il a eu des rôles dans la grande entreprise, d’autres plus modestes, il a investi dans des microentreprises. Il a une perspective très vaste, sur plusieurs secteurs, mais aussi sur les différentes étapes du développement d’une entreprise », observe M. Fortier.

Le passage des affaires à la vie politique est souvent difficile. François Legault y est parvenu, mais il faut dire qu’il était l’homme d’une transaction, Air Transat, et que depuis 1998, il navigue en politique.

Mais les choses ont été bien différentes pour un Paul Gobeil ou un Pierre MacDonald, ministres libéraux dans les années 80 : les gens d’affaires n’ont pas toujours la patience nécessaire dans l’administration publique. Carlos Leitão et Martin Coiteux n’étaient pas des entrepreneurs. Et la vie politique s’est mal terminée aussi pour le regretté Jacques Daoust, après sa longue carrière à la Banque Nationale.