L'expulsion du caucus libéral de deux députées n'a pas réglé le sort de SNC-Lavalin, mais plusieurs députés libéraux du Québec ont laissé voir leur préférence pour un accord qui éviterait des poursuites criminelles à l'entreprise.

Il ne faut pas pénaliser les employés, les retraités ni les fournisseurs, a répété le ministre de l'Infrastructure, François-Philippe Champagne, mercredi matin, en marge du caucus libéral.

Il a souligné que SNC-Lavalin est la plus grande compagnie de construction et d'ingénierie au Canada, alors il est évident qu'il regarde toute cette affaire dans une perspective d'« intérêt national ».

L'entreprise doit être sanctionnée, mais pas les travailleurs qui n'ont rien fait, dit-il.

Et de lui offrir un accord de poursuite suspendue permettrait de faire cela, dit-il, soulignant que cette procédure existe dans tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « C'est un outil dans la boîte à outils », a-t-il répondu lorsqu'on lui a demandé s'il était en faveur.

La manoeuvre est toutefois délicate.

Selon l'ex-ministre Jody Wilson-Raybould, c'est son refus d'utiliser ce moyen légal qui lui a valu de perdre son prestigieux poste de ministre de la Justice. Elle soutient avoir subi les pressions de l'entourage du premier ministre Justin Trudeau pendant des mois et d'avoir résisté, jugeant qu'il s'agirait d'ingérence politique.

Pour le chef des conservateurs, Andrew Scheer, il est clair que si le nouveau ministre de la Justice, David Lametti, autorise cet accord de poursuite suspendue, « c'est un message que chaque chose que Mme Wilson-Raybould a dite était vraie ».

Il soutient qu'elle a été mise à la porte du caucus parce qu'elle a dit la vérité.

Quant au premier ministre Trudeau, il a répété mercredi que la décision d'offrir un tel accord ou non revient entièrement au ministre de la Justice.

M. Lametti - qui a succédé à ce poste à Jody Wilson-Raybould, expulsée du caucus mardi soir en compagnie de Jane Philpott - n'a pas voulu se mouiller mercredi matin.

Depuis des semaines, Justin Trudeau martèle qu'il est normal de défendre les milliers d'emplois de la firme de génie-conseil québécoise. Si elle devait être reconnue coupable de fraude ou de corruption, elle ne pourrait plus faire de soumissions sur des contrats publics, ce qui pourrait entraîner des pertes d'emplois.

Pressé de tourner la page sur cette affaire qui secoue Ottawa depuis des semaines et qui nuit à son parti, le premier ministre a souligné que les conservateurs ne veulent parler que de ce sujet - et de rien d'autre.

Et effectivement, les conservateurs n'ont pas l'intention de lâcher le morceau, l'affaire ayant fourni tant d'armes contre les libéraux.

Le chef conservateur a donc repris ses attaques aux Communes.

« Pourquoi le fait de dire la vérité vous vaut une expulsion du Parti libéral ? », a lancé Andrew Scheer pour amorcer le duel de la période des questions.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) a repris, en écho, les mêmes reproches. « Si vous osez le critiquer et si vous osez défendre des principes comme l'indépendance judiciaire, il va vous montrer la porte », a dit Jagmeet Singh en référence au premier ministre.

Ce dernier a offert, à répétition, la même réponse : ses adversaires « n'ont aucun plan », ils font « de la petite politique », tandis que son gouvernement se concentre sur les besoins des Canadiens

Cet empressement de passer à autre chose était palpable chez les libéraux.

« Il était temps qu'on tourne la page » et qu'on puisse parler d'autres dossiers, a lancé le député montréalais Joël Lightbound.

L'expulsion des deux ex-ministres semblait aussi avoir délié les langues.

« Les gens du Québec me disent que le premier ministre était complètement légitime de poser des questions à la procureure générale dans le dossier, compte tenu des emplois qui sont en jeu », a-t-il ajouté. Selon lui, toutes les options devaient être dûment considérées, et pas sur le coin d'une table.

Quant à la ministre du Tourisme, Mélanie Joly, elle abonde dans le même sens que ses collèges. Pour elle, l'important est de s'assurer de protéger les emplois. La députée d'Ahuntsic-Cartierville a mentionné que plusieurs familles de sa circonscription sont affectées par toute l'incertitude qui entoure le sort de SNC-Lavalin.

Le député de Lac-Saint-Louis, Francis Scarpaleggia, aussi président du caucus national, lui a fait écho : « On sait que c'est une question d'emplois et de régimes de retraite pour des individus qui n'ont rien fait de mal ».

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a été encore plus direct.

Citant l'urgence d'agir, il a rédigé une lettre destinée au ministre de la Justice, pour lui demander d'ordonner la tenue de négociations avec SNC-Lavalin en vue d'arriver à un accord de poursuite suspendue.

Il l'enjoint de ne pas attendre « un contexte politique plus favorable » pour agir.

« Pour qu'on puisse commencer à travailler pour de vrai pour 3500 familles qui doivent commencer à se poser de sérieuses questions quant à leur propre avenir alors qu'elles ne sont qu'un "token" politique à six mois d'une élection », a-t-il tranché.