Les libéraux de Justin Trudeau ne veulent pas entendre de voix discordante dans leurs rangs dans le débat sur la laïcité qui fait rage au Québec.

Des notes ont ainsi été préparées à l'intention des ministres, des députés, des adjoints de la colline et dans les bureaux de circonscription, de même que pour les proches collaborateurs du premier ministre afin de les guider dans la réplique fédérale aux mesures contenues dans projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité, déposé la semaine dernière à l'Assemblée nationale.

Le ton ferme de ces notes pourrait laisser entendre que le gouvernement Trudeau prépare soigneusement le terrain à une forme de contestation judiciaire de certains pans du projet de loi sur la laïcité. Certains experts juridiques estiment qu'Ottawa pourrait contester la constitutionnalité du projet de loi, une fois qu'il aura été adopté, en plaidant qu'il est discriminatoire envers les femmes.

Mais une source gouvernementale a insisté pour dire mardi soir que le gouvernement écarte l'idée d'une bataille juridique sur cette question, même si le ministre de la Justice David Lametti a affirmé encore plus tôt en journée que son ministère est toujours en train d'étudier le projet de loi de Québec.

« Le Canada est un pays laïque et cela se reflète dans toutes ses institutions. Les employés de l'État ont le droit d'afficher leurs croyances et personne ne devrait à choisir entre un emploi et son droit de porter un signe religieux », peut-on lire dans les notes de réplique obtenues par La Presse mardi.

« La Charte canadienne des droits et libertés protège les droits de tous les citoyens, et on ne peut pas choisir ceux que l'on protège et ceux que l'on restreint. Notre position est claire : ce n'est pas à l'État de dicter aux gens ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas porter, peu importe leurs croyances », peut-on aussi lire dans ces notes.

« Notre parti a toujours défendu et continuera de défendre les droits fondamentaux de chaque Canadien », ajoute-t-on aussi, prenant soin de souligner qu'il incombe à « tous » de protéger les droits fondamentaux « et toute tentative de les éroder est inacceptable. Le Canada est ouvert, inclusif, et riche de sa diversité ».

Dans les rangs libéraux, on a tenu à minimiser mardi la teneur des notes envoyées aux troupes libérales, affirmant que de tels messages sont envoyés quotidiennement pour les aider à expliquer les positions du gouvernement Trudeau.

Le projet de loi déposé jeudi dernier à l'Assemblée nationale par le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, interdira aux  employés de l'État ayant un pouvoir coercitif (policiers, gardiens de prison, notamment) de porter des signes religieux. La même interdiction s'appliquera aussi aux enseignants du primaire et du secondaire du secteur public et toute personne souhaitant offrir ou recevoir un service de l'État devra se présenter à visage découvert.

Le projet de loi contient une clause de droits acquis qui permettra aux personnes déjà l'emploi de l'État de conserver leurs signes religieux. Mais pour éviter toute contestation judiciaire, le gouvernement Legault entend invoquer la clause dérogatoire.

À cet égard, les stratèges libéraux à Ottawa font un parallèle entre cette décision du gouvernement Legault d'invoquer la clause dérogatoire et celle du gouvernement conservateur de Doug Ford pour réduire la taille du conseil municipal en Ontario.

« La clause dérogatoire porte entrave aux droits des Canadiens. C'est un élément de notre Constitution auquel on devrait avoir recours uniquement dans les situations les plus exceptionnelles. C'était le cas il y a quelques mois avec Doug Ford, ça demeure le cas maintenant », peut-on lire dans les notes.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a d'ailleurs repris à son compte lundi certaines de ces répliques à la Chambre des communes en réponse aux questions du Bloc québécois sur les intentions du gouvernement fédéral

« Notre gouvernement a toujours défendu les droits fondamentaux de chaque Canadien et Canadienne, et il continuera de le faire. La Charte canadienne des droits et libertés protège les droits de tous les citoyens. On ne peut pas choisir ce que l'on protège et ce que l'on restreint.  Notre position est claire : ce n'est pas à l'État de dicter aux gens ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas porter, peu importe leur croyance », a-t-il déclaré en réponse à une question de la députée bloquiste Monique Pauzé.

La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a toutefois tenu un discours plus nuancé dans les rangs libéraux, se disant certes très « préoccupée » par les intentions du gouvernement Legault, « mais on pense aussi que c'est aux Québécois d'avoir cette conversation-là et on respecte le fait que l'arène de discussion pour ce sujet est au Québec ».

Dimanche, le premier ministre François Legault a choisi de s'adresser directement aux Québécois  dans l'espoir de les rassurer sur la portée réelle du projet de loi 21 encadrant les signes religieux.

Il a notamment affirmé que le projet de loi est « modéré », en conformité avec les valeurs et l'histoire du Québec, dans son court message de deux minutes et demie diffusé sur son site web et sa page Facebook. Avant même de connaître les grandes lignes du projet de loi sur la laïcité, le premier ministre Justin Trudeau avait affirmé qu'il serait « impensable qu'une société libre légitime la discrimination contre quiconque, basée sur la religion ».

« Le Canada est un pays laïque, un pays qui respecte profondément les libertés individuelles, y compris la liberté d'expression, de conscience et de religion. Le Québec l'est aussi », a alors déclaré le premier ministre, qui était de passage en Nouvelle-Écosse. « Je vais toujours défendre les libertés individuelles. C'est un élément qui fait de nous une société juste, ouverte, libre. »