Le premier ministre voulait pouvoir dire qu'il avait «tenté par tous les moyens légaux possibles de tuer le problème» de SNC-Lavalin «dans l'oeuf», voulait comprendre pourquoi on refusait de recourir à un effort de réparation et comptait «parvenir à ses fins d'une façon ou d'une autre».

C'est ce qu'a plaidé le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, auprès de la ministre démissionnaire Jody Wilson-Raybould, selon un enregistrement audio d'un entretien téléphonique du 19 décembre dernier.

«Je suis convaincue à 100% que je n'ai rien fait d'inapproprié», a-t-elle affirmé au fil de cette discussion, alors que le plus haut fonctionnaire du gouvernement revenait à la charge.

«Non, bien sûr, mais peut-être que vous le seriez moins si vous décidiez d'appliquer l'un ou l'autre des outils prévus par la loi... Je crois qu'il veut que le gouvernement fasse tout en son pouvoir pour éviter la perte de 9000 emplois... et d'une entreprise canadienne de renom», lui a répondu M. Wernick.

«Oui, bon... encore une fois, je suis convaincue de ma décision, et ma position n'a pas changé à l'égard de SNC et de l'APD. On parle ici du principe constitutionnel de l'indépendance judiciaire. Michael, je dois dire que cette conversation, et les précédentes que j'ai eues avec le premier ministre et bien d'autres à ce sujet, est absolument inappropriée et que cela constitue de l'ingérence politique», a-t-elle répliqué.

L'ex-ministre et procureure générale a fourni cette pièce à conviction, et d'autres, au comité permanent de la justice et des droits de la personne. Son mémoire rendu public vendredi vers 16h15 tient sur 24 pages.

Celle qui est redevenue simple députée de Vancouver-Granville depuis qu'elle a claqué la porte du cabinet, le 12 février dernier, a indiqué dans un courriel à La Presse qu'elle ne ferait pas de commentaires vendredi.

«Mon témoignage écrit parle de lui-même», a-t-elle signalé en faisant référence aux textos, courriels et fichier audio qu'elle a produits pour étoffer le long témoignage de quatre heures qu'elle avait livré.

Le comité, lui, «publie le mémoire tel qu'il l'a reçu de Mme Wilson-Raybould. Le bureau du légiste et conseiller parlementaire a examiné le document, et sur les conseils de celui-ci, le comité n'a censuré aucun passage», a-t-on expliqué aux médias.

La ministre démissionnaire avait accusé le greffier du Conseil privé d'avoir proféré à son endroit des «menaces voilées», trois fois plutôt qu'une, lors d'une conversation téléphonique remontant au 19 décembre dernier.

Le plus haut fonctionnaire au pays «a invoqué le nom du premier ministre tout au long de notre conversation et m'a parlé du pétrin dans lequel se trouvait le premier ministres et de ses inquiétudes à propos de ce qui allait se passer», a-t-elle relaté.

«Dans mon esprit, il s'agissait de menaces voilées, que j'ai considérées comme telles. C'est tout à fait inapproprié», a tranché Jody Wilson-Raybould.

Le greffier s'en était catégoriquement défendu lors de sa seconde comparution au comité, le 6 mars dernier.

Talonné par le néo-démocrate Charlie Angus, il avait lancé qu'il n'avait pas de souvenir exact de tout ce qu'il avait dit parce qu'il ne «portait pas de micro», mais qu'il n'avait fait «aucune menace à l'ex-procureure générale, un point c'est tout».

Moins de deux semaines après ce témoignage, le greffier Wernick annonçait son départ à la retraite. Le bureau du premier ministre a annoncé aujourd'hui qu'il passerait le flambeau le 19 avril prochain à Ian Shugart.

Le premier ministre Justin Trudeau a expliqué le départ de celle à qui il avait confié le portefeuille crucial de la justice par une «érosion» du lien de confiance entre son bureau et elle.

La principale intéressée, pour sa part, a déclaré qu'elle avait jeté l'éponge en raison des «pressions inappropriées» exercées sur elle dans le dossier SNC-Lavalin, et non parce qu'elle a été rétrogradée aux Anciens Combattants, le 14 janvier dernier.

En comité, elle a nommé 11 personnes qui auraient tenté de s'ingérer politiquement pour s'assurer que la firme négocie un accord de poursuite suspendue plutôt que de se retrouver avec un procès sur les bras en raison de ses activités passées en Libye.

Parmi celles-ci figurent le premier ministre, son ex-secrétaire principal Gerald Butts ou encore le greffier Wernick. Tous trois ont nié avoir fait pressions indûment sur Jody Wilson-Raybould.

Il n'est pas clair si le comité de la justice produira un rapport sur l'affaire SNC-Lavalin. Il est assez habituel que les comités des Communes produisent des rapports sur les études qu'ils mènent.

Celui qui le préside a fait valoir vendredi que la question n'était pas tranchée. «C'est une décision du comité. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas de proposition adoptée pour un rapport», a-t-il écrit à La Presse.

La députée néo-démocrate Tracey Ramsey a toutefois signalé dans un échange avec La Presse en milieu de semaine que les libéraux, majoritaires au comité, fermaient la porte à cette possibilité.