Alors que le comité de l'éthique de la Chambre des communes doit décider aujourd'hui s'il entreprend à son tour une étude de l'affaire SNC-Lavalin, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer presse à nouveau le premier ministre Justin Trudeau de relever son ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould du secret ministériel qui limite sa liberté de parole.

Dans les rangs libéraux, de plus en plus de voix s'élèvent d'ailleurs pour que Mme Wilson-Raybould ainsi que l'ex-ministre Jane Philpott se prévalent de leurs droits de parlementaires pour mettre fin à ce que certains comparent maintenant à un supplice de la goutte alors que des faits nouveaux sont révélés presque quotidiennement.

En point de presse, hier, M. Scheer a invoqué ces pressions venant des troupes libérales pour exhorter le premier ministre à « coopérer » avec le comité de l'éthique pour éviter que les libéraux utilisent leur majorité, comme ils l'ont fait au comité de la justice, pour couper court aux visées des conservateurs et des néo-démocrates.

« Il y a quelque chose »

« L'histoire est de plus en plus brumeuse. Il y a quelque chose derrière cela pour que ces femmes tiennent à ce point à parler », a déclaré à La Presse le député conservateur Jacques Gourde, qui est membre du comité de l'éthique.

Il a confirmé l'intention des conservateurs de convoquer les deux ministres démissionnaires devant le comité. Du même souffle, il a reconnu que la tâche serait difficile pour convaincre les députés libéraux d'accepter une motion en ce sens. « Il serait bien qu'on ait un ou deux alliés libéraux au comité », a-t-il dit.

Même si le comité de l'éthique est présidé par un député conservateur, les libéraux y détiennent la majorité des voix. Toutefois, un député libéral, Nathaniel Erskine-Smith, a appuyé le mois dernier une motion de l'opposition, défaite aux Communes, réclamant la tenue d'une enquête publique sur cette affaire.

Un porte-parole du député libéral de Beaches-East York a indiqué à La Presse que M. Erskine-Smith serait présent à la réunion, mais a refusé de dire s'il appuierait la démarche des conservateurs.

« Il est très heureux de participer à la réunion », a dit le porte-parole, nous invitant à regarder la rencontre, qui est publique.

Échange avec Wilson-Raybould

De passage à Maple Ridge, en Colombie-Britannique, le premier ministre a de nouveau insisté pour dire que tout avait été dit dans ce dossier. Il a aussi indiqué avoir eu un échange « cordial » avec Mme Wilson-Raybould lundi dernier, à la veille du budget fédéral, pour l'informer « des prochaines étapes », faisant allusion au mandat qu'il a confié à l'ancienne ministre Anne McLellan pour évaluer si les rôles de ministre de la Justice et de procureur général devraient être assumés par une seule et même personne, comme c'est le cas depuis plus de 100 ans au Canada.

Cet entretien a eu lieu avant que Mme Wilson-Raybould n'écrive à nouveau au président du comité de la justice pour l'aviser qu'elle comptait soumettre un témoignage écrit et des documents pertinents comme des courriels et messages textes pour étoffer son premier témoignage du 27 février dernier. Pour l'heure, on ignore quand elle va les remettre et à quel moment ils seront rendus publics.

Un désaccord en 2017 sur la nomination d'un juge

La Presse canadienne a appris que Jody Wilson-Raybould, alors ministre de la Justice, avait recommandé en 2017 à Justin Trudeau qu'il nomme un juge conservateur du Manitoba à la tête de la Cour suprême du Canada, même si ce juge n'y siégeait pas déjà et qu'il avait vivement critiqué l'«  activisme  » de ce tribunal en faveur des droits individuels. Des sources indiquent que la recommandation de l'ancienne ministre de la avait constitué un épisode de «  désaccord important  » avec le premier ministre, qui dépeint le Parti libéral comme «  le parti de la Charte des droits  ». C'est d'ailleurs le père du premier ministre, Pierre Elliott Trudeau, qui avait insisté ardemment pour que l'on enchâsse la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution qui était rapatriée de Londres au début des années 80. 

Les sources ont parlé sous le couvert de l'anonymat parce qu'elles ne sont pas autorisées à évoquer des discussions internes sur les nominations à la Cour suprême, généralement considérées comme hautement confidentielles. Le cabinet du premier ministre a refusé de commenter l'affaire, hier. 

Mme Wilson-Raybould a déclaré de son côté «  qu'il n'y avait pas eu de conflit  » entre le premier ministre et elle dans ce processus de nomination, qui implique par ailleurs «  des conversations et des communications habituellement CONFIDENTIELLES  », écrit-elle dans un courriel. L'ex-ministre de la Justice a déclaré qu'elle n'était «  pas libre de commenter  » la «  véracité  » des déclarations des sources, parce que ses commentaires «  pourraient compromettre l'intégrité du processus de nomination des juges à la Cour suprême et potentiellement aussi l'intégrité des juges qui y siègent  ».

- La Presse canadienne