(Québec) La ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, est bâillonnée par son propre gouvernement dans le dossier de la laïcité, estime la Fédération des femmes du Québec (FFQ).

Mme Charest avait déclaré en février dernier que le voile est un symbole d’oppression de la femme, puis avait nuancé ses propos. Elle est depuis muette sur cet enjeu.

Le travail de la ministre, qui est une ex-athlète olympique, est remis en question, alors que le gouvernement refuse d’effectuer une analyse différenciée selon les sexes (ADS) et maintient que le projet de loi 21 n’affectera pas plus les femmes que les hommes.

La pièce législative vise à interdire le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, dont les enseignants. Une clause de droits acquis permettrait aux personnes déjà à l’emploi du gouvernement de continuer à porter leurs signes religieux, tant qu’elles demeurent dans le même poste. Au moins 80% des enseignants au Québec sont des femmes.

Lors de l’étude des crédits budgétaires, volet condition féminine, le 15 avril dernier, la ministre Charest avait lu les lignes préparées pour elle par le gouvernement selon lesquelles le projet de loi touche de façon égale toutes les religions, tant les hommes que les femmes, et qu’il est un pas de plus vers l’égalité des sexes.

Elle a invité les députés à adresser leurs questions sur la laïcité à son collègue et ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de la Fédération des femmes du Québec, Gabrielle Bouchard.

La présidente de la FFQ, Gabrielle Bouchard, qui s’oppose au projet de loi, a dit constater que la ministre Charest ne fait simplement pas le poids dans le cabinet Legault. «Elle n’a pas grand pouvoir», s’est-elle désolée en entrevue.

«Celle qui est là pour représenter nos droits à toutes n’a pas le droit ni l’espace pour être capable de parler et d’intervenir, a-t-elle ajouté. Je trouve ça extrêmement décevant de la part du gouvernement.»

Elle déplore par ailleurs que le Québec n’ait pas un «vrai» ministère de la Condition féminine, comme à Ottawa, mais un secrétariat.

Or, il est possible de s’approprier le dossier de la condition féminine au Québec et de montrer de l’empathie pour toutes les femmes, selon la prédécesseure de Mme Charest, la libérale Hélène David, qui reconnaît toutefois que les jeux de coulisse sont parfois difficiles.

«C’est une responsabilité avec une signature, dit-elle. Ou tu signes ou tu ne signes pas. […] Moi, j’avais décidé de signer. Mais qu’est-ce que vous voulez, on ne se fait pas toujours des amis à l’intérieur de notre conseil des ministres. Il faut pousser […] il faut être là pour dire: "You-hou" et mettre le drapeau rouge.

«Je ne suis pas sûre que Mme Charest l’exerce en tapant du pied très fort, a-t-elle ajouté. Une ministre responsable de la Condition féminine doit […] lire les avis, comme dans ce projet de loi-là […] il faut qu’elle puisse prendre tout ça et essayer d’influencer son collègue ou le sensibiliser à la complexité des choses.»

Mme David souligne que le Conseil du statut de la femme, qui relève d’Isabelle Charest, a soumis jeudi dernier un mémoire à la commission étudiant le projet de loi 21. S’il appuie l’interdiction des signes religieux chez les employés de l’État en position de coercition, l’organisme est réticent à l’étendre aux enseignants. Des études sur les effets du port de signes religieux chez le personnel scolaire sont nécessaires, dit-il.

Mme Charest ne s’est pas prononcée sur ce mémoire. D’autres groupes favorables au projet de loi, tels que Pour les droits des femmes du Québec, n’ont pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse canadienne.

Difficile de naviguer dans les eaux houleuses de la laïcité alors qu’il y a des divisions importantes au sein même du mouvement féministe? «Je dirais que ça dépend des mentalités, affirme Christine Labrie, porte-parole de Québec solidaire en matière de condition féminine. Moi je n’ai pas de difficulté au sein de mon caucus à sensibiliser mes collègues aux enjeux de condition féminine. Visiblement, ça semble assez difficile au sein de son conseil des ministres.»

Fait intéressant: les députées Hélène David (Parti libéral du Québec), Christine Labrie (Québec solidaire) et Méganne Perry-Melançon (Parti québécois) sont en faveur d’une ADS dans le dossier de laïcité. Pour Mme Perry-Melançon, il s’agit d’une position personnelle, puisque le Parti québécois, qui est en faveur du projet de loi 21, n’a jamais demandé de telle analyse.

Soulignons que l’Assemblée nationale a récemment donné une formation aux élus sur l’importance de l’ADS, qui a pour objet de discerner de façon préventive les effets distincts sur les femmes et sur les hommes que pourra avoir l’adoption d’un projet.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier.

Avortement

Par ailleurs, les trois partis d’opposition disent qu’ils auraient souhaité que Mme Charest dénonce fortement les propos du chef du Parti populaire du Canada (PCC), Maxime Bernier, concernant l’avortement.

De passage à Québec mardi dernier, le Beauceron a évoqué la possibilité de débattre d’une loi qui viendrait restreindre le droit des femmes à l’avortement. «Où est-elle là-dessus?» a demandé Hélène David.

«La ministre ne commente pas les propos de M. Bernier», a écrit l’attaché de presse de Mme Charest, Alex Poulin, en réponse à une demande d’entrevue de La Presse canadienne.

Il a tout de même relayé par courriel un tweet de la ministre: «Le droit à l’avortement est un acquis important pour les femmes. Les Québécoises pourront toujours compter sur notre gouvernement pour défendre ce droit.»

Une réponse trop faible aux yeux de la députée Perry-Melançon. «C’est le genre de propos qui doivent être dénoncés de manière ferme, haut et fort, a-t-elle dit. Je me serais attendue à une réaction beaucoup plus ferme de la part de la ministre.»

La veille à Washington, le premier ministre François Legault avait déclaré que pour lui, «c’est une question qui est réglée depuis longtemps au Québec. Les Québécois sont ailleurs.»