(Edmonton) Le premier ministre désigné de l’Alberta promet de s’attaquer aux organismes de bienfaisance du secteur de l’environnement qui bloquent selon lui les exportations de pétrole — mais ces groupes pourraient en fait profiter de ces batailles, qui attisent la générosité des donateurs.

Dans son discours de la victoire, mardi soir, le chef du Parti conservateur uni, Jason Kenney, a réitéré sa promesse de lutter contre les groupes écologistes canadiens qui acceptent de l’argent de fondations américaines avec le secret dessein de saboter l’économie d’ici en empêchant l’Alberta d’exporter du pétrole ailleurs que vers le sud.

Le gouvernement conservateur fédéral dirigé par Stephen Harper, dont M. Kenney faisait partie, avait tenté la même chose en 2012 en dépensant 12 millions pour mener des audits sur les finances d’organisations caritatives respectueuses de l’environnement. Or, les dons à ces organismes de bienfaisance ont ensuite grimpé en flèche — ils ont presque quadruplé dans le cas de la fondation Tides Canada.

« Si M. Kenney veut donner des dizaines de millions de dollars à quelques groupes environnementaux, au détriment de 1200 autres organismes de bienfaisance œuvrant pour l’environnement au Canada, il n’a qu’à faire comme les conservateurs fédéraux à l’époque », a soutenu Mark Blumberg, avocat torontois spécialisé dans les organismes caritatifs. « Ce serait un appui majeur pour la collecte de fonds de ces quelques groupes, mais une catastrophe pour le secteur caritatif en général. »

La Fondation David Suzuki, qui a été visée par le chef conservateur, soutient que 90 % de ses dons proviennent de Canadiens — dont les deux tiers de particuliers. Élections Canada a par ailleurs exonéré en octobre dernier un autre organisme visé par M. Kenney, Lead Now.

La théorie du complot

Joshua Hart, qui enseigne la psychologie sociale au collège Union de New York, croit que le discours de M. Kenney répond à la définition technique de la « théorie du complot » : un petit groupe qui s’active en secret pour s’enrichir aux dépens des autres.

La plupart des gens croient au moins en une théorie du complot, a-t-il estimé, et certaines de ces théories peuvent être vraies. Mais le professeur Hart rappelle que des circonstances sont plus propices que d’autres à leur propagation.

« Quand les gens sont exclus du pouvoir politique ou sentent qu’ils n’ont plus de contrôle sur les circonstances, ils se mettent à fréquenter ces théories du complot. »

Mark Busser, qui donne des conférences sur les théories conspirationnistes à l’Université McMaster, en Ontario, rappelle que le phénomène fonctionne aussi dans l’autre sens : les politiciens qui réussissent peuvent utiliser de telles théories pour attaquer leurs opposants. « C’est un moyen de saper la légitimité des critiques. »

Cette théorie particulière a fait surface pour la première fois en Alberta au début des années 2010, mais elle est récemment réapparue dans des lettres d’opinion publiées par de grands médias.

Les inquiétudes concernant l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine et le référendum sur le Brexit ont peut-être contribué à ramener ces parfums de complot, avance David Tindall, sociologue à l’Université de la Colombie-Britannique. Mais les deux problèmes ne doivent pas être confondus, croit-il.

En outre, les changements climatiques ne connaissent pas de frontières, explique le professeur Tindall : les citoyens et les organismes canadiens sont eux aussi impliqués dans d’autres pays.