François Legault est un excellent conteur. Devant des auditoires choisis, il a ressorti maintes fois sa blague préférée. Ainsi, juste avant les dernières élections, le chef de la CAQ aurait eu une «rencontre secrète» avec le chef libéral Philippe Couillard.

ANALYSE

L'enjeu? Échanger un candidat caquiste de 2012, le Dr Gaétan Barrette, contre un autre médecin, Yves Bolduc. L'affaire paraît entendue, mais à la dernière minute, Legault se ravise: «À bien y penser, Philippe, garde donc les deux!»

La crise autour du Dr Bolduc vient à peine de se terminer, que, déjà, un autre front s'ouvre. Autocrate impénitent, Gaétan Barrette vient sérieusement de mettre les pieds dans le plat. Tout le réseau de la santé l'attendait au détour, aiguillonné par l'autoritarisme de la loi découlant du projet de loi 10 qui confère tous les pouvoirs au ministre. Communicateur hors pair, le Dr Barrette se défendait avec énergie de vouloir tout contrôler. Mais la nouvelle crise au CHUM vient accréditer puissamment la réputation d'intransigeance du ministre de la Santé.

Le départ percutant du président du conseil du CHUM, Jean-Claude Deschênes, et du patron de l'hôpital, Jacques Turgeon, laissera des cicatrices durables. D'autres démissions du conseil s'annoncent, la semaine prochaine.

Au moment de sa nomination - une décision unanime du conseil en mai 2014 - après l'arrivée des libéraux au pouvoir, M. Turgeon semblait trop malléable, «trop doux» pour mater les fauves du CHUM. Ce docteur en pharmacie est avant tout un universitaire. Pour lui, les processus sont plus importants que le souque à la corde entre médecins pour du temps en salle d'opération. Perçu comme «accommodant», M. Turgeon s'est révélé d'une tout autre farine, aimant mieux partir pour des raisons de principe que de se soumettre aux diktats du Dr Barrette. En démissionnant avant le 1er avril, il renonce à une généreuse indemnité de départ: un an de salaire.

«Monsieur gouvernance»

Jean-Claude Deschênes est depuis des décennies perçu comme «Monsieur gouvernance» dans l'administration publique québécoise. Lauréat de prix prestigieux, sous-ministre à la Santé puis à l'Environnement, on ne lui connaît aucun faux pas. Quand ce mandarin parle d'interventions «intempestives et partiales» et des «demi-vérités» du ministre, son verdict est sans appel. Retraité depuis longtemps, il n'a pas d'intérêts à protéger.

Même à l'interne à la Santé, le dernier affrontement n'est pas sans conséquence. M. Barrette dit mettre sur pied un comité d'experts pour tirer au clair les problèmes chroniques du CHUM. Or, son sous-ministre Michel Fontaine a passé des mois à assurer une tutelle de l'établissement. Il a ainsi fait sauter tout un étage de cadres grassement rémunérés.

C'était prévisible, l'opposition réclamait vendredi la tête de Gaétan Barrette, probablement mise en appétit par la dépouille d'Yves Bolduc.

En dépit du conseil d'administration, Gaétan Barrette voulait confirmer le Dr Patrick Harris, une vieille connaissance, comme patron du département de chirurgie, poste qu'il occupait déjà depuis près de dix ans. Personne ne met en doute les compétences du magicien Harris, capable de reconstruire une main affreusement mutilée. Mais derrière le choix du patron de la chirurgie, un enjeu plus important se cache: quel groupe aura le plus de temps au bloc opératoire? Les plasticiens comme le Dr Harris? Les neurochirurgiens? Les cardiologues? Pour ces spécialistes - ils sont plus de 100 -, cette décision a d'importantes conséquences financières.

Gaétan Barrette a adroitement braqué le projecteur sur «une guerre de médecins» pour expliquer la nouvelle crise au CHUM. En fait, le problème est ailleurs. Il concerne l'indépendance d'un établissement, de surcroît universitaire, à l'égard du ministre. Il faut dire que les médecins du CHUM, quand ils étaient mécontents, ont toujours eu l'oreille de Québec. Les trois derniers titulaires de la Santé ont présidé au départ du patron du CHUM.