Bancroft, Ontario. Population : environ 4000. Si tout se passe comme prévu, la petite municipalité située à mi-chemin entre Toronto et Ottawa abritera en 2025 le Musée canadien de la paix. Le projet est porté à bout de bras par Chris Houston, un ancien travailleur humanitaire d’origine britannique qui a délaissé les zones de guerre pour faire une différence autrement.

« Nous avons au Canada le Musée canadien de la guerre, le Musée canadien pour les droits de la personne, mais pas de musée pour la paix. Il y a des musées de la paix en Australie, en Allemagne, en Belgique, en France et en Espagne », lance l’idéateur du chantier dans une entrevue par visioconférence.

PHOTO TRISTAN VINEY, FOURNIE PAR CHRIS HOUSTON

Chris Houston, fondateur et PDG du Musée canadien de la paix

La tradition pacifiste canadienne a pourtant laissé sa marque, fait-il valoir.

Chris Houston énumère en rafale le rôle joué par Lester B. Pearson dans la résolution de la crise du canal de Suez, la contribution clé du Canadien John Peters Humphrey dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le combat du lieutenant-général Roméo Dallaire lors du génocide au Rwanda.

« Le Canada n’est pas un pays parfait, loin de là, les peuples autochtones ont été victimes d’un génocide. Il faut toutefois parler et apprendre de tout ça », plaide l’ex-travailleur humanitaire, qui a œuvré pour Médecins sans frontières (MSF), la Croix-Rouge et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La dernière affectation humanitaire de Chris Houston remonte au Yémen, pour l’OMS.

Il en est revenu brisé. Diagnostic : trouble complexe de stress post-traumatique. « C’était une accumulation de toutes mes années passées en zones de conflit. Mais je suis revenu du Yémen avec une perspective complètement différente », raconte-t-il.

« Disons que ça fait en sorte qu’on apprécie la sérénité, la paix », poursuit-il.

Un projet prometteur, selon le maire

Le voici depuis quelques années à Bancroft, où il compte couler les fondations de son musée. Ban-quoi ? « Ce n’est pas une grande ville, mais dans une ville comme Toronto, le musée serait une option parmi des dizaines. Ici, ce sera l’attraction intérieure la plus intéressante », argue Chris Houston.

Le maire de Bancroft, Paul Jenkins, appuie le projet – « comment peut-on être contre ? », lance-t-il à l’autre bout du fil. Et il entrevoit un bassin de visiteurs assez prometteur. « Il y a quand même de cinq à six millions de véhicules par année qui passent par ici, donc ça fait quand même du monde », fait-il valoir.

L’élu municipal se réjouit par ailleurs du fait qu’un volet autochtone est prévu. « Il y a ici une population algonquine historique bien établie, alors on ne voit pas juste ça comme un enjeu mondial », dit-il en rappelant la démarche de vérité et réconciliation entamée au Canada.

Le conseil d’administration et le conseil consultatif du musée comptent deux représentants autochtones. Il n’y avait pas de présence québécoise jusqu’à ce que nous portions cet élément à l’attention de Chris Houston. « Je suis conscient que c’est une lacune à corriger », avait-il dit.

À peine quelques jours plus tard, la Québécoise Danika Bouchard, analyste senior à la Fondation Philantra de la Banque Nationale, faisait son arrivée au sein du conseil consultatif.

La collection

L’emplacement exact du musée n’est pas encore déterminé. Le montage financier n’est pas bouclé – le musée vient d’obtenir son statut d’organisme de bienfaisance, et son fondateur a approché les gouvernements de l’Ontario et du Canada pour les rallier à sa cause.

En même temps, il faut tout de même prévoir de quoi remplir les salles d’exposition. Et la collection, se félicite Chris Houston, commence à prendre forme.

Les Casques blancs – ces secouristes civils syriens qui sont venus en aide aux victimes de bombardement dans les zones rebelles en Syrie – sont prêts à envoyer deux ambulances qui ont été délibérément visées dans le nord-ouest du pays.

Le groupe Femmes de paix autour du monde, établi à Genève, veut offrir son exposition Mille visages de la paix, des portraits de 1000 femmes qui mériteraient un prix Nobel de la paix. « Qui commence les guerres ? Les hommes. Qui effectue le travail de rétablissement de la paix ? Les femmes. Qui reçoit les prix Nobel de la paix ? Les hommes ! », lance Chris Houston.

PHOTO FOURNIE PAR PEACEWOMEN ACROSS THE GLOBE

L’exposition Mille visages de la paix en 2010 au siège principal européen des Nations unies, à Genève.

La chocolaterie Peace by Chocolate, fondée par des Syriens qui ont fui la guerre civile pour s’installer à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, est prête à déménager à Bancroft le petit cabanon qui lui a servi de premier point de vente.

PHOTO FOURNIE PAR PEACE BY CHOCOLATE

La première boutique de la chocolaterie Peace by Chocolate à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. La famille Hadhad, d’origine syrienne, s’est installée au Canada après avoir fui la guerre civile.

« Vous voyez un peu l’arc narratif du musée », résume son concepteur.

Son équipe et lui jugent que le havre de paix ouvrira ses portes à un moment charnière. Divisions au sein de la société canadienne, guerres en Ukraine et dans la bande de Gaza, tendance vers la militarisation… comment s’y retrouver ? « C’est à ça que ça sert, les musées », répond Chris Houston de son accent écossais.