L’écho des tambours et l’odeur de la sauge médicinale étaient présents au pied du mont Royal, samedi. Des centaines de personnes se sont rassemblées pour souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Des manifestations semblables ont été organisées partout au pays.
« On m’a donné un numéro. J’avais 5 ans, et je n’étais même pas considérée comme une personne. Pouvez-vous imaginer ça ? », a demandé à un auditoire vêtu de t-shirts orange une survivante des pensionnats pour Autochtones, émue. Au pied du mont Royal, des centaines de personnes se sont regroupées samedi après-midi en l’honneur des victimes et des survivants des pensionnats.
Sur place, les émotions affleurent. « Ça me brise le cœur en ce moment », a confié à La Presse Beverly Shaw, une participante de la marche. Sa mère est une survivante des pensionnats de la région de Restigouche, au Nouveau-Brunswick. « Elle est morte en octobre 2020 », souligne Mme Shaw. À la même époque, la découverte de tombes anonymes d’enfants autochtones sur les lieux d’anciens pensionnats au Canada faisait les manchettes, amplifiant sa douleur. « Je pense que les gens doivent comprendre notre passé, les traumatismes intergénérationnels. Et cette marche, c’est une façon de guérir, pour nous », explique-t-elle.
Pour Sarah Qumak, présente avec ses deux filles de 4 et 9 ans, cette marche est aussi une façon d’honorer son défunt père. Un autre survivant des pensionnats. « Il ne peut pas y être, donc je suis là pour lui », dit-elle. Sur une pancarte portée par la petite Diana, le numéro attribué à son grand-père au pensionnat : E9-2039.
Une série de discours et de performances musicales et cérémonielles se sont tenus à partir de 13 h dans le parc Jeanne-Mance pour lancer la marche. « On est encore là ! », a lancé à la foule Kevin Deer, aîné de la communauté mohawk de Kahnawake, près de Montréal. « Les gens doivent nous écouter parce que nos voix ont été éteintes. »
Parmi les discours, quelques thèmes reviennent, comme le fait que le premier ministre du Québec, François Legault, ne reconnaît pas le racisme systémique dont sont victimes les Autochtones, selon les personnes présentes. « Je suis dégoûtée par ces politiciens qui parlent de ce jour, mais qui ne font rien quand ils sont au bureau », a dénoncé Ellen Gabriel, militante et artiste mohawk de la communauté de Kanesatake. « On doit se souvenir des enfants qui ne sont jamais rentrés à la maison », a-t-elle ajouté. « Honte au Canada ! Honte au Québec ! »
Autre thème récurrent : l’importance de renouer et d’être soutenu par des non-Autochtones. « On ne peut pas [mener le combat] seuls », a déclaré devant la foule l’autrice-compositrice-interprète Beatrice Deer.
Au milieu de la vague orange, Anja Runganaikaloo essuie ses larmes. Il y a un an, elle a appris que le premier amour de son père était une femme autochtone. « On lui a dénié son identité toute sa vie », affirme-t-elle, troublée. « Ça me rend triste, et je pense que beaucoup de Canadiens et de Québécois ne reconnaissent pas leur propre histoire. Il y a beaucoup plus de personnes affectées qu’on le croit. »
Le défilé a débuté vers 14 h. La foule a pris le chemin du centre-ville, à destination de la place du Canada, rue De La Gauchetière. Un arrêt devant l’Université McGill était prévu.
Réactions politiques
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a affirmé dans une déclaration diffusée samedi matin que la réconciliation est la responsabilité de « chacun d’entre nous ».
« Aujourd’hui, en cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, aussi appelée la Journée du chandail orange (en anglais seulement), nous sommes confrontés aux conséquences durables du système des pensionnats pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis au Canada. Nous nous réunissons pour nous souvenir des enfants qui ont été arrachés à leurs communautés et de ceux dont la vie a été volée dans ces soi-disant écoles. Nous rendons hommage aux survivants, dont beaucoup ont été victimes d’abus physiques, émotionnels et sexuels. Nous écoutons leurs vérités et nous réitérons notre engagement à bâtir un avenir meilleur pour les peuples autochtones et pour tout le monde au Canada », a écrit le premier ministre.
François Legault a pour sa part écrit dans une publication sur le réseau social X : « En cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, souvenons-nous de leurs histoires. On a tous un devoir de mieux se connaître, de mieux se comprendre. »
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a invité les citoyens à « écouter nos concitoyens autochtones et à réfléchir à leur apport historique » à l’occasion de cette journée.
« Ensemble, nous avançons sur le chemin de la réconciliation avec cœur et conviction », a-t-elle déclaré, dans un message publié sur X.
Avec La Presse Canadienne