(Montréal) Les mégafeux canadiens n’en finissent plus de progresser : plus de 10 millions d’hectares ont déjà brûlé cette année, un total bien supérieur à tout ce que le pays a déjà connu, dépassant les projections les plus pessimistes des scientifiques.

Ces chiffres devraient encore s’aggraver puisque 906 feux étaient actifs samedi au Canada, dont 570 considérés hors de contrôle, selon les chiffres nationaux du Centre interservices des incendies de forêt du Canada (CIFFC).

Et les autorités sont contraintes d’en laisser brûler la majorité. L’ampleur des brasiers, leur multitude et la difficulté d’accès dépassant les capacités des pompiers canadiens et internationaux, présents en nombre.  

« On se retrouve cette année avec des chiffres qui sont pires que nos scénarios les plus pessimistes », explique à l’AFP Yan Boulanger, chercheur pour le ministère canadien des Ressources naturelles.

« Ce qui est complètement fou, c’est qu’il n’y a eu aucun répit depuis début mai. Tout est réuni pour que la situation s’aggrave », résume ce spécialiste des incendies de forêt. Pour lui, « l’année 2023 va forcément marquer les esprits ».

Au total, les forêts brûlées en six mois et demi seulement représentent une superficie proche de celle du Portugal ou équivalente à celle de l’Islande. Le précédent record absolu en la matière datait de 1989 avec 7,3 millions d’hectares, selon le CIFFC.

Depuis janvier, le pays a dénombré 4088 incendies, dont de nombreux brasiers atteignant des centaines de milliers d’hectares. Jeudi, une pompière de 19 ans a perdu la vie en luttant contre les flammes dans l’ouest. Plus de 150 000 personnes ont dû être déplacées.  

C’est principalement la forêt boréale qui part en fumée, loin des zones habitées. Mais avec de lourdes conséquences pour l’environnement.

Cet anneau de verdure qui encercle l’Arctique — au Canada donc, mais aussi en Alaska, en Sibérie et dans le nord de l’Europe — est en effet vital pour l’avenir de la planète.

Autre particularité de cette forêt du nord : elle libère 10 à 20 fois plus de carbone par unité de zone brûlée que d’autres écosystèmes. En relâchant du gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ces incendies contribuent en retour au réchauffement de la planète, un cercle vicieux.

« Avant-goût » de l’avenir

« Nous sommes sur des dimensions immenses, le feu que nous gérons fait 65 kilomètres de long, cela pose des défis d’organisation énormes », raconte à l’AFP le colonel Philippe Sansa, à la tête d’un détachement de 120 pompiers français déployés dans le nord du Québec.  

Caméras infrarouges et drones sont utilisés pour analyser les points chauds, explique-t-il décrivant une logistique très complexe.  

« Vous êtes parfois obligés de tirer une lance sur plusieurs kilomètres pour acheminer de l’eau », ajoute le pompier. « Pour un feu de 110 000 hectares, nous avons 80 pompiers et 6 hélicoptères, soit beaucoup moins que ce que l’on peut déployer en France sur un brasier 100 fois moins gros. »

Peu habitué aux mégafeux contrairement à l’ouest du pays, le Québec est jusqu’ici la province la plus gravement touchée avec 4,4 millions d’hectares brûlés. Comme le reste du pays, le nord est confronté à une grave sécheresse, avec des précipitations très en dessous de la moyenne depuis des mois et des températures chaudes.  

« On a besoin de l’aide internationale parce que les ressources qu’on a au Québec ne sont pas suffisantes », lance Stéphane Caron, porte-parole de la Société de protection des forêts contre le feu dans la province (SOPFEU).

Dans l’ouest du pays, la Colombie-Britannique a également appelé à l’aide internationale. « Nous prévoyons que le temps restera chaud et sec dans les mois à venir. Nous n’attendons donc aucun répit du point de vue météorologique », explique Sarah Budd du service des incendies de cette province sur la cote pacifique.

Depuis début juillet, la situation a pris dans cette région un tour dramatique avec plus de 250 départs de feux en trois jours la semaine passée, déclenchés principalement par la foudre.

« C’est un avant-goût de ce que l’avenir risque de nous réserver », redoute Stéphane Caron, puisque le changement climatique accroît la fréquence et l’intensité des feux dans les forêts boréales selon les experts.  

La saison a commencé en Alberta qui a dès le mois de mai dû déclencher l’état d’urgence en raison d’une situation sans précédent. Quelques semaines plus tard, la Nouvelle-Écosse, province atlantique au climat très doux, et surtout le Québec ont à leur tour été pris dans des mégafeux.  

En forêt boréale, en raison de l’épaisseur du humus au sol, les feux peuvent continuer de brûler pendant des mois.