(Ottawa) Un voyage en famille aux États-Unis. C’est l’une des seules lueurs d’espoir pour un adolescent de 14 ans qui se bat depuis plusieurs mois contre un cancer. Le projet a déjà été annulé une première fois à cause de la pandémie. La grève des fonctionnaires fédéraux pourrait de nouveau le mettre en péril.

Les parents prévoyaient faire une demande de passeport au début de l’année pour ce voyage à Hawaii prévu en juillet, mais le diagnostic de leur fils a tout chamboulé. Aujourd’hui, ils espèrent que le conflit de travail qui oppose le gouvernement fédéral et 155 000 de ses fonctionnaires se réglera rapidement pour qu’ils puissent obtenir de nouveaux documents de voyage.

« Peut-être que la délivrance des passeports n’est pas un service essentiel, mais ce voyage l’est pour notre famille : recharger les batteries et se retrouver », explique Anik Langlois, la mère de l’adolescent, dans un long courriel envoyé à La Presse.

Son fils Émile est hospitalisé depuis le 16 janvier. Des tumeurs comprimaient sa colonne vertébrale et l’ont rendu paraplégique. Contre toute attente, il a pu faire quelques pas à la fin du mois de mars.

PHOTO FOURNIE PAR ANIK LANGLOIS

Émile Bouchard, entouré de son père, Stéphane Bouchard, et de sa mère, Anik Langlois.

« On était prêts à voyager malgré les limitations qu’il aura à ce moment-là, qu’on ne connaît pas encore », raconte en entrevue Mme Langlois, qui est infirmière. Elle passe la majorité de son temps à l’hôpital, tout comme son conjoint, Stéphane.

« Quand on écoute nos politiciens à la télé, on a le sentiment qu’ils sont loin un peu de la réalité des gens », ajoute celui-ci, qui est aussi infirmier. « On peut comprendre les revendications des syndicats, mais derrière tout ça, il y a de vraies histoires de gens comme nous. »

De nombreux Québécois craignent de devoir annuler leurs voyages faute de pouvoir obtenir un nouveau passeport à temps. La grève des fonctionnaires fédéraux déclenchée mercredi fait planer le spectre d’une nouvelle crise comme celle de l’an dernier.

« D’une certaine façon, ils ont pris mon passeport en otage », déplore Benoit Giguère en entrevue. Un sentiment exprimé par plusieurs autres lecteurs de La Presse. Il a déposé sa demande pour obtenir son nouveau document de voyage lundi, deux jours avant le début du débrayage.

Il avait demandé le service express, craignant de ne pas pouvoir obtenir son passeport à temps si la grève était déclenchée, mais on le lui a refusé puisque son départ pour les États-Unis n’est prévu que le 18 mai.

« Ah… non, non, inquiétez-vous pas pour ça, si on part en grève ça va être deux ou trois jours maximum », lui aurait dit la fonctionnaire qui a traité sa demande. Son nouveau passeport devait lui être livré le 1er mai, mais il ne sait pas s’il pourra désormais l’obtenir. Et l’ancien a été détruit.

Jean Préfontaine, qui attendait le passeport de sa fille le 19 avril, au premier jour de la grève, a choisi de prendre les devants et de se renseigner la veille. Impossible d’avoir des détails parce que le dossier était toujours ouvert. « De plus, l’employée m’a suggéré de rappeler plus tard cette semaine, donc après le déclenchement de la grève, raconte-t-il dans un courriel. J’étais sidéré ! Est-ce de l’enfumage ? » Son voyage en famille au Mexique est prévu à la fin du mois de mai.

« Malgré que je comprends les motifs de la grève, je trouve inadmissible qu’on prenne la population en otage de cette façon, a écrit Ema P. à La Presse. Ça fait quatre ans qu’on n’a pas voyagé à cause de la COVID-19 en premier, à cause de la guerre en Ukraine l’année passée. » Elle aussi doit renouveler le passeport de sa fille en prévision d’un voyage pour rendre visite à sa parenté et à ses amis.

Visages inquiets

On pouvait voir plusieurs visages inquiets jeudi au bureau des passeports de Service Canada au Complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal. Sur place, deux gestionnaires du gouvernement fédéral expliquaient au public que seules les demandes de passeport « pour des urgences humanitaires » étaient traitées. Toutes les autres demandes devaient attendre, et ne seraient acceptées qu’après la fin de la grève.

« Ça fait deux mois que j’ai mon rendez-vous, je quitte le boulot pour me présenter et ils ne peuvent rien faire pour moi, ils ne m’ont même pas avisée par courriel de ne pas me déplacer pour rien », a déploré une citoyenne qui a tout simplement dit s’appeler Alison. La jeune femme a deux voyages prévus cet été, aux États-Unis et en Europe, et se demande si elle devrait tout annuler.

« Ils me disent d’attendre la fin de la grève, mais personne ne sait quand ça va finir, et peut-être que les demandes de passeport seront trop nombreuses à ce moment-là. Je suis vraiment fâchée », a-t-elle dit.

Une femme qui a dit s’appeler Michelle était elle aussi en colère. « Je suis venue pour le passeport de mon fils, on doit aller en Chine en juin, mais tout est fermé. Ils m’ont dit de suivre les nouvelles et de refaire une demande quand la grève sera terminée. Je dois aussi faire une demande de visa. C’est stressant, car je ne sais pas si on pourra avoir nos documents à temps. »

Nouvelle crise ?

« J’ai beaucoup de sympathie pour les gens qui ont fait la demande pour leur passeport, a affirmé la ministre de l’Emploi et du Développement social, Karina Gould, en entrevue. On espère que la grève se terminera rapidement. »

La délivrance des passeports n’est pas considérée comme un service essentiel en vertu de la loi, à l’exception des situations d’urgence ou d’ordre humanitaire.

Il y a tout de même une lueur d’espoir pour les gens qui ont présenté leur formulaire en personne avant le début de la grève. « Si le passeport a été imprimé avant minuit mercredi, ils peuvent aller le chercher, a expliqué Mme Gould, en entrevue. Si ce n’est pas le cas, ils doivent attendre jusqu’à la fin de la grève générale. » Il est possible de vérifier le statut de sa demande en ligne avec une adresse de courriel.

Quelque 85 000 demandes risquent de s’accumuler pour chaque semaine d’interruption, ce qui fait craindre l’apparition d’un arriéré comme lors de la crise des passeports l’an dernier.

« Je ne crois pas que nous serions dans la même situation parce que nous sommes dans une bien meilleure position avec la capacité que nous avons dans le système, explique la ministre. Mais — et c’est un grand mais — ça dépend combien de temps durera la grève. » Elle note toutefois une baisse de la demande depuis le début du conflit de travail.

Les négociations entre l’Alliance de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor se sont poursuivies jeudi. Le syndicat réclame une hausse salariale de 13,5 % sur trois ans, tandis que le gouvernement offre plutôt 9 %. La sécurité d’emploi et l’ajout du télétravail dans la convention collective font partie des autres points en litige.

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