(Ottawa) Délais dans le traitement des rapports d’impôt, gel quasi complet de la délivrance de passeports, ralentissement de l’étude des demandes d’immigration : les impacts de la grève des 155 000 fonctionnaires fédéraux auront des conséquences majeures pour les Canadiens, a prévenu le gouvernement Trudeau. Et la patience des citoyens, déjà mise à l’épreuve au cours des derniers mois, aura des limites, a averti le premier ministre.

Le message du quatuor de ministres réuni mercredi en conférence de presse au parlement était le même : le débrayage de la fonction publique provoquera de nombreuses perturbations, même si les services essentiels seront maintenus.

Les contribuables qui attendent un remboursement d’impôt pourraient devoir s’armer de patience. La partie syndicale affirme que le traitement des déclarations de revenus est à l’arrêt, ce que contredit toutefois le gouvernement, selon qui le travail se poursuit.

Quoi qu’il en soit, la date-butoir du 1er mai pour la soumettre demeure, a indiqué la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier.

Des plans de contingence avaient été élaborés en prévision d’un débrayage : les versements de l’Allocation canadienne pour enfants « continueront à se faire comme prévu », tandis que d’autres seront « classées par ordre de priorité », a-t-elle expliqué.

La livraison des passeports, qui avait déjà causé bien des maux de tête au printemps dernier, sera laborieuse.

En fait, « la majorité des Canadiens » ne pourront demander ni renouveler un passeport, car leur délivrance n’est pas considérée comme un service essentiel en vertu de la loi, sauf « dans les situations d’urgence ou d’ordre humanitaire », a indiqué la ministre de l’Emploi et du Développement social, Karina Gould.

Elle a chiffré à 85 000 le nombre de demandes qui s’accumuleraient pour chaque semaine d’interruption.

Les prestations d’assurance-emploi, le supplément de revenu garanti, l’allocation pour anciens combattants ainsi que l’attribution du numéro d’assurance sociale sont, pour leur part, considérés comme des services essentiels, a précisé la ministre responsable de Service Canada.

Les conséquences se feront aussi ressentir « de manière significative » au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, a signalé le ministre Sean Fraser. « Notre capacité sera considérablement réduite et il y aura des retards de traitement dans tous nos services d’immigration », a-t-il lancé sans détour.

Les temps d’attente au téléphone seront « aussi gravement impactés », et le conflit de travail aura par ailleurs une incidence sur les progrès qui avaient été réalisés au sein de ce ministère, qui a lui aussi connu son lot de difficultés pendant et après la pandémie, a regretté le ministre Fraser.

Tout en se disant optimiste de pouvoir en arriver à une entente, la présidente du Conseil du trésor, Mona Fortier, s’est montrée ferme.

« On ne peut pas signer un chèque en blanc. De nombreuses revendications de l’AFPC sont tout à fait irréalisables, et d’autres auraient de graves répercussions sur notre capacité de fournir des services aux Canadiennes et aux Canadiens », a-t-elle tranché en conférence de presse au parlement.

« On se doit de veiller à ce que ces ententes soient raisonnables pour les contribuables et soutiennent notre objectif principal, servir les Canadiennes et les Canadiens. Tel est toujours notre objectif et je suis convaincue que nous pouvons arriver à une entente », a-t-elle plaidé.

« Les Canadiens ne seront pas énormément patients »

Sans vouloir s’avancer sur les conditions qui justifieraient une loi spéciale sur le retour au travail, le premier ministre Trudeau a semblé vouloir lancer un avertissement au camp syndical : la population risque de perdre patience si le conflit de travail perdure.

« C’est la première journée d’une perturbation syndicale, a-t-il dit avant la réunion hebdomadaire du caucus libéral. On a du travail à faire à la table de négociation. On a des propositions sur la table. On devrait s’engager à ce niveau-là. On ne va pas devancer la réflexion. »

« On avait mis une offre lundi soir sur la table à laquelle ils n’ont pas répondu avant d’aller en grève », a-t-il déploré, invitant l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) et le Conseil du trésor à dénouer l’impasse. Les deux parties ont indiqué mardi soir qu’elles demeuraient à la table des négociations.

« C’est ce à quoi les Canadiens s’attendent et je sais que les Canadiens ne vont pas être énormément patients si ça continue », a-t-il affirmé.

Le syndicat réclame une hausse salariale de 13,5 % sur trois ans, tandis que le gouvernement offre plutôt 9 %. La sécurité d’emploi et l’ajout du télétravail dans la convention collective font partie des points en litige.

Le gouvernement craint qu’une clause sur le travail à distance ne mène à des contestations échelonnées sur des mois ou des années. Il redoute également les répercussions sur ses autres contrats de travail. Lors d’une séance d’information, une haute fonctionnaire du Conseil du Trésor a souligné que le gouvernement doit négocier 28 conventions collectives en tout.

Réactions de l’opposition

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh et des membres de son caucus sont allés gonfler les rangs de la ligne de piquetage devant l’édifice du Centre, mercredi matin. « On veut avoir l’engagement du gouvernement et du premier ministre qu’il ne va pas déposer une loi spéciale de retour au travail et plutôt qu’il va continuer de faire le travail nécessaire pour négocier un bon contrat », a-t-il déclaré.

Dans le camp conservateur, Pierre Paul-Hus a attribué le blâme au premier ministre pour cette grève. « Voir la fonction publique être en grève démontre clairement que Justin Trudeau n’a pas été en mesure d’avoir des négociations de bonne foi », a-t-il accusé en mêlée de presse après la réunion du caucus.

Il n’a pas voulu dire si sa formation appuierait une possible loi forçant un retour au travail des fonctionnaires.

Le député bloquiste Alain Therrien, quant à lui, a rapidement fermé la porte : « Le Bloc québécois n’a jamais voté pour une loi spéciale, je le dis d’emblée. Nous, on est d’accord avec le principe qu’il faut négocier, que les gens soient de bonne foi, et que les travailleurs ont avantage à négocier pour retourner travailler ».

« Je suis pas mal sûr que les gens qui sont en grève actuellement ne veulent pas faire ça comme carrière », a-t-il plaidé en point de presse.