(Ottawa) L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) lance un ultimatum. Si le gouvernement fédéral et les 155 000 fonctionnaires qu’elle représente n’arrivent pas à s’entendre d’ici mardi 21 h, une grève sera déclenchée dès le lendemain. Le dernier débrayage de cette ampleur remonte à 1991, mais cette fois, la question du télétravail pourrait permettre de l’éviter.

Cela inclut les 35 000 employés de l’Agence du revenu du Canada, alors que l’échéance du 30 avril pour envoyer sa déclaration de revenus approche. Certains progrès ont été faits à la table de négociations, mais pas sur les enjeux prioritaires de l’AFPC. Le salaire, la sécurité d’emploi et le télétravail font toujours l’objet de désaccords.

« Ce qu’on veut essentiellement, c’est des conditions de travail décentes, des salaires qui tiennent compte du coût de la vie », a affirmé Yvon Barrière, premier vice-président régional de l’AFPC pour le Québec, en conférence de presse lundi.

« Les choses ont beau avancer, mais nos membres sont frustrés que les négociations s’éternisent pendant que leur pouvoir d’achat diminue de façon drastique », a-t-il ajouté.

Les fonctionnaires fédéraux sont sans contrat de travail depuis 2021. M. Barrière a fait valoir qu’ils n’ont pas eu d’augmentation de salaire depuis juin 2020 et que leur pouvoir d’achat a diminué d’environ 10 % avec la montée de l’inflation. L’AFPC demande une augmentation de salaire de 13,5 % sur trois ans, soit 4,5 % annuellement. Cette hausse couvrirait les années 2021, 2022 et 2023.

Dans sa plus récente offre, le Conseil du Trésor propose plutôt 9 % sur trois ans. Par communiqué, le Ministère s’est dit déçu d’apprendre que le syndicat voudrait déclencher la grève dès mercredi après « de nombreux jours de discussions productives et de progrès sur beaucoup de points ».

« Il est encore temps de parvenir à une entente avant le début de la grève », peut-on lire.

Appelé à réagir en marge d’une conférence de presse lundi, le premier ministre Justin Trudeau a indiqué que le gouvernement fédéral a l’intention de continuer de négocier. « On est en train de travailler de façon ouverte et responsable pour reconnaître les défis, le travail que font nos fonctionnaires fédéraux, mais aussi s’assurer qu’on est responsable avec l’argent des contribuables quand vient le temps de négocier de futurs contrats », a-t-il dit, excluant pour l’instant le recours à une loi spéciale sur le retour au travail.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a indiqué qu’il voterait contre une telle loi, si le gouvernement y avait recours.

Ce sont les mêmes travailleurs de la fonction publique qui ont livré l’aide aux gens durant la pandémie et on doit les respecter avec une négociation et un bon contrat.

Jagmeet Singh, chef du NPD

Les conservateurs blâment, quant à eux, « l’incompétence de Justin Trudeau » et l’accusent d’avoir contribué à la hausse de l’inflation. « Une chose est claire : l’accès des Canadiens aux services de base et essentiels ne devrait pas être compromis par l’incapacité de Justin Trudeau à faire son travail », a indiqué la députée albertaine Stephanie Kusie dans une déclaration écrite.

Le télétravail pour dénouer l’impasse ?

S’il veut clore les négociations rapidement, le gouvernement devra faire des concessions sur la question du télétravail, selon Ian Lee, professeur agrégé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton, à Ottawa.

« L’AFPC a un important groupe d’employés pour qui le travail à distance est aussi important que le salaire », signale-t-il.

Une situation due au fait que Services publics et Approvisionnement Canada s’est débarrassé de nombreux baux durant la pandémie. « Il n’y a pas suffisamment d’espace pour le retour au travail des employés, explique-t-il. Certains doivent s’installer dans des cubicules temporaires, pas des bureaux, pour ensuite se connecter sur Zoom afin de parler à un autre employé qui est dans un autre cubicule. »

L’ajout du télétravail dans la nouvelle convention collective est l’une des demandes principales de l’AFPC.

Reste que le gouvernement Trudeau se trouve dans une drôle de posture. S’il accorde des augmentations de salaire trop importantes, il risque de se faire accuser à nouveau d’alimenter l’inflation. S’il ne fait pas de concessions, il s’expose à d’autres critiques parce que les services gouvernementaux seront perturbés par la grève.

« La pression sur le gouvernement du Canada est très grande pour éviter la grève », fait valoir le professeur.

Ce qui veut dire que le syndicat a plus de marge de manœuvre, et le gouvernement risque d’être plus porté à faire un compromis de dernière minute.

Ian Lee, professeur agrégé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton

L’AFPC a obtenu lundi le soutien d’un autre syndicat, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), qui a aussi laissé planer la menace d’une grève pour ses membres qui travaillent pour l’Agence du revenu du Canada.

Les pourparlers se poursuivent. En cas de grève, certains services essentiels seront maintenus, mais l’AFPC met en garde contre des retards pour les services de passeports, d’assurance-emploi et contre une plus longue attente au téléphone.

La dernière grève des fonctionnaires fédéraux remonte à 2004, mais elle n’avait pas eu autant d’impact que celle de 1991, qui avait fini par faire mal au gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney.

Quels services seraient touchés ?

Des ralentissements ou des interruptions sont à prévoir pour les services suivants :

  • assurance-emploi
  • immigration
  • demandes de passeport
  • traitement des déclarations de revenus
  • postes frontaliers
  • approvisionnement et échanges commerciaux dans les ports et les aéroports
  • certains programmes pour les agriculteurs
  • certains services pour les anciens combattants
  • certains services de la Garde côtière canadienne et de Pêche et Océan Canada

Qui sont les 155 000 fonctionnaires ?

Quatre groupes totalisant 120 000 employés ont appuyé la grève, soit ceux des services des programmes et de l’administration, les services d’exploitation, les services techniques de même que ceux de l’enseignement et de la bibliothéconomie. S’ajoutent les 35 000 membres du Syndicat des employés de l’impôt affilié à l’AFPC. Le gouvernement fédéral est le plus gros employeur au pays, et l’AFPC est le syndicat qui représente le plus grand nombre de fonctionnaires.