L’avocat de deux femmes et trois adolescentes canadiennes qui devaient être rapatriées du nord-est de la Syrie au début du mois soutient qu’elles ont été maltraitées par des gardiens et qu’elles sont détenues dans un camp qui abrite principalement des membres de la famille de ceux qui auraient des liens avec Daech.

Me Zachary Al-Khatib, d’Edmonton, a déclaré que l’une des deux femmes avait pu passer un bref appel téléphonique à un membre de sa famille au Canada tôt mardi, avant que la ligne ne soit coupée.

Elle aurait indiqué que ces femmes étaient toutes vivantes et avaient été transférées au camp de Roj. Mais elles auraient été maltraitées, avaient besoin de soins médicaux et s’étaient fait confisquer tous leurs biens, aurait dit la femme.

L’avocat a souligné que cet appel avait été évidemment très préoccupant pour la famille, après 11 jours sans nouvelles.

En vertu d’un accord avec Affaires mondiales Canada, ces cinq femmes devaient être transportées du camp d’Al-Hol à celui de Roj, pour rejoindre quatre autres femmes et 10 enfants. Ces 14 personnes sont rentrées au Canada le 6 avril.

Selon Me Al-Khatib, tandis que celles qui sont encore en Syrie étaient préoccupées par leur sécurité avec le transfert entre les camps, des représentants canadiens leur ont dit qu’ils avaient communiqué avec les forces kurdes, qui dirigent le camp d’Al-Hol.

Elles ont reçu l’assurance qu’elles seraient en sécurité. Puis, lorsqu’elles se sont présentées pour être transférées, elles ont disparu pendant 11 jours et le gouvernement n’a eu aucune nouvelle.

Me Zachary Al-Khatib

L’avocat estime que le Canada devait prendre des mesures immédiates pour s’assurer que ces femmes et ces filles sont en sécurité et rapatriées. « Le gouvernement est resté silencieux à ce sujet, a-t-il déclaré. Il doit fournir des réponses à la famille et à la population. »

Me Al-Khatib a déclaré qu’il ne savait pas pourquoi ces deux femmes, âgées de 41 et 33 ans, s’étaient rendues à l’origine en Syrie, mais on ne lui a montré aucune preuve d’intention criminelle ou d’infractions à la loi.

Affaires mondiales Canada a déclaré dans un communiqué qu’il disposait d’« informations crédibles » selon lesquelles ces femmes se trouvaient dans le camp de Roj, mais il a refusé de commenter davantage, invoquant la confidentialité et la sécurité opérationnelle.

« Le Canada a pris des mesures extraordinaires pour rapatrier toutes les femmes et tous les enfants canadiens identifiés dans le litige “Ramenez nos proches à la maison”. Tant que les conditions le permettront, nous continuerons ce travail », indique le communiqué.

« Détention illégale »

Letta Tayler, directrice adjointe de la division crise et conflit au sein de l’organisme Human Rights Watch, a convenu qu’il est essentiel que le gouvernement canadien découvre ce qui s’est passé et l’explique à la famille et aux Canadiens.

« Cet incident impliquant les cinq personnes qui ont été laissées pour compte est emblématique des problèmes inhérents à ce système de détention illégal, ce processus par lequel le Canada et d’autres pays sous-traitent la responsabilité de leurs ressortissants à un acteur non étatique dans une zone de guerre, a-t-elle déclaré. Dans ce contexte, les choses ne vont pas nécessairement se passer sans heurts. »

Selon Mme Tayler, de nombreuses autres femmes ont affirmé avoir été détenues à Al-Hol ou dans d’autres camps — et, dans certains cas, avoir été maltraitées lors de leur transfert d’Al-Hol vers le camp de Roj. Elle a déclaré que certaines femmes ont affirmé avoir été emmenées dans une cellule qu’elles ont appelée la « prison rouge », ce qui, selon elle, ressemble à une zone de détention à Al-Hol.

« Certains des témoignages que j’ai entendus indiquent que des femmes et des enfants sont détenus dans des pièces qui sont essentiellement des latrines, a-t-elle déclaré. Ce sont des conditions horribles. »

Human Rights Watch déclarait en décembre dernier que depuis la défaite du groupe armé État islamique en 2019, plus de 42 400 étrangers accusés de liens avec Daech ont été détenus dans des camps et des prisons dans le nord-est de la Syrie — pour la plupart des enfants, qui n’ont pas été traduits devant une autorité judiciaire pour déterminer la nécessité ou la légalité de leur détention. En 2020, l’organisme a estimé qu’il y aurait au moins 47 Canadiens détenus dans ces camps.

L’organisation non gouvernementale internationale a déclaré que les soins médicaux, l’eau potable, les abris et l’éducation dans ces camps sont « manifestement insuffisants » et elle a appelé les pays qui comptent des détenus à rapatrier leurs ressortissants.

L’avocat d’Ottawa Lawrence Greenspon a conclu un accord en janvier pour rapatrier 19 femmes et enfants canadiens qui avaient fait partie d’une poursuite contre Ottawa en Cour fédérale. Le gouvernement fait appel d’un jugement qui ordonne le rapatriement de quatre hommes détenus en Syrie.

Trois des quatre femmes qui sont revenues au Canada ce mois-ci ont été arrêtées à leur arrivée, en vertu d’une demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public lié au terrorisme ; elles ont depuis été libérées sous caution.

Deux autres femmes qui avaient été rapatriées de Syrie avec deux enfants en octobre ont également été arrêtées à leur arrivée ; l’une d’elles fait face à des accusations criminelles.

« Nous avons à la fois les lois et le personnel et il y a tout un ministère, la Justice, qui est mis en place pour faire face à ce genre de poursuites, a déclaré Me Greenspon. Il n’y a absolument aucune raison de ne pas ramener ces Canadiennes chez elles et de ne pas les traiter de manière appropriée dans le cadre du système de justice pénale canadien, au lieu de les laisser pourrir dans les prisons et les camps de détention. »

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.