(Ottawa) Le grand responsable des achats au ministère de la Défense souhaite que les entreprises militaro-industrielles se concentrent davantage sur la réalisation de ce qu’elles ont promis et moins sur la tentative de décrocher le prochain contrat.

Dans une entrevue exclusive à La Presse Canadienne, le sous-ministre adjoint du « Groupe des matériels », Troy Crosby, comprend que les entreprises veulent faire de l’argent.

Mais il croit aussi que ces entreprises doivent respecter leurs engagements envers le gouvernement fédéral, les militaires et la population.

Les Canadiens ont été inondés de rapports faisant état de dépassements de coûts et de retards dans l’achat et la livraison de nouvel équipement militaire pour les Forces armées canadiennes.

Des questions et des inquiétudes ont été soulevées quant au rôle d’Ottawa dans tous ces retards. Des dizaines d’anciens responsables politiques et hauts fonctionnaires ont signé une lettre, publiée cette semaine, appelant à davantage d’investissements du gouvernement dans la Défense nationale.

Cela comprend des investissements pour s’assurer que le ministère de la Défense dispose d’un nombre suffisant d’experts en approvisionnement. La Presse Canadienne a cité la semaine dernière un rapport interne qui révélait que 30 % de ces postes étaient vacants.

« Il est essentiel que le gouvernement investisse dans l’amélioration de la capacité du ministère de la Défense nationale à dépenser son budget de manière rapide et opportune », lit-on dans la lettre initiée par l’Institut de la Conférence des associations de la défense.

La lettre demande également au gouvernement libéral de Justin Trudeau de s’engager à atteindre l’objectif de l’OTAN de consacrer 2 % du produit intérieur brut du Canada à la défense. Le Canada a consacré 1,29 % de son PIB à l’armée l’an dernier.

M. Crosby reconnaît d’emblée que l’industrie n’est pas responsable de tous les problèmes auxquels est confronté le système d’approvisionnement militaire : les responsables fédéraux et les Forces armées sont aussi responsables de certains de ces problèmes, tandis que d’autres échappent au contrôle de tout le monde et de chacun.

Cependant, a-t-il ajouté, « si je pouvais écrire au père Noël et demander certaines améliorations […] du côté de l’industrie, j’aimerais voir probablement moins de délais entre le développement et la livraison – ou du moins un changement dans cet équilibre. »

Les Kingfisher d’Airbus

Des entreprises de défense comme Airbus et Sikorsky Helicopters ont fait l’objet d’un examen minutieux, car elles ont eu du mal à tenir leurs promesses de livrer des avions de recherche et de sauvetage et des hélicoptères de patrouille maritime.

Le gouvernement a annoncé qu’il achetait 16 avions Kingfisher à Airbus, pour 2,75 milliards, en 2016, date à laquelle le géant européen de l’aérospatiale a déclaré que l’avion serait prêt à effectuer des missions de recherche et de sauvetage d’ici 2020.

Or, cela ne s’est pas produit, car les responsables testent toujours le Kingfisher, qui est basé sur une version spécialement modifiée de l’avion de transport militaire Airbus C-295, utilisé par près d’une quinzaine de pays à travers le monde.

Certaines de ces modifications étaient nécessaires pour répondre aux exigences obligatoires de l’Aviation royale canadienne, tandis que d’autres étaient facultatives — et ajoutées par Airbus dans un effort apparent pour améliorer son offre.

Les Cyclone de Sikorsky

Pendant ce temps, Sikorsky n’a toujours pas tenu sa promesse de livrer une flotte entièrement opérationnelle d’hélicoptères Cyclone, après une vingtaine d’années de pépins et de retards de développement, de problèmes de logiciels et de fissures de queue.

La société basée aux États-Unis, qui appartient à Lockheed Martin, avait d’abord remporté le contrat d’hélicoptères en 2004. Lorsque les responsables de la Défense et des achats évaluent les offres soumises par les entreprises pour des contrats de plusieurs milliards de dollars, a déclaré M. Crosby, les entreprises « obtiennent des points supplémentaires si elles offrent plus par rapport à ce que nous avions évalué ».

« Et on ne se retrouverait pas alors avec une solution risquée qui ne serait pas livrée ? »

Le ministère de la Défense a adopté de nouveaux moyens pour déterminer si les entreprises peuvent effectivement respecter leurs engagements, dont l’un a été utilisé pour la première fois lors de l’appel d’offres d’avions de recherche et de sauvetage remporté par Airbus avec son Kingfisher.

« Et nous avons appris de cela parce que cela aurait pu être mieux fait, raconte M. Crosby. Nous appliquons maintenant la même philosophie à d’autres approvisionnements avec appel d’offres. »

Des délais imprévisibles

Le sous-ministre rappelle que les entreprises ne sont pas payées tant que le nouvel équipement n’est pas livré, ce qui explique en partie pourquoi le ministère de la Défense a abandonné ou n’a pas dépensé 2,5 milliards au cours du dernier exercice.

On peut se demander si cela fournit une motivation suffisante, car les retards et autres problèmes ont souvent amené les contribuables à payer plus pour le même équipement.

Par exemple, le contrat des Kingfisher est actuellement évalué à 2,9 milliards. Pendant ce temps, l’armée de l’air a été forcée de déplacer et de réaffecter des avions pour continuer à effectuer des opérations de recherche et sauvetage, après le retrait de ses anciens avions Buffalo l’année dernière.

Les responsables de la Défense ont discuté avec leurs alliés des moyens d’établir de meilleurs échéanciers en matière d’approvisionnement militaire, a déclaré M. Crosby, alors qu’il y a une tendance croissante à acheter davantage d’équipements standard sans modifications spécifiques pour le Canada.

Mais tout en soulignant la nécessité pour le gouvernement et l’industrie de travailler ensemble pour trouver des solutions, le responsable des acquisitions souhaiterait que les entreprises soient plus directes lorsqu’il s’agit de ce qu’elles peuvent réellement offrir – et quand.

« Nous devons avoir de véritables conversations sur ce qui est réaliste, a-t-il déclaré. Nous devons nous assurer, grâce à nos consultations avec l’industrie, que nous établissons de bonnes bases de planification sur les délais. »