(Ottawa) La longue bataille juridique pour que les enfants autochtones enlevés à leur famille obtiennent justice tire à sa fin. Les chefs de l’Assemblée des Premières Nations ont donné leur aval à un nouveau règlement de 23,3 milliards négocié avec le gouvernement fédéral, une somme record pour une action collective au pays. Ils réclament également des excuses publiques du premier ministre Justin Trudeau.

« Depuis 17 ans, la question de l’indemnisation des enfants lésés par le système [des services sociaux] a été pelletée par en avant encore et encore », a rappelé la cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations au Manitoba, Cindy Woodhouse, en conférence de presse mercredi.

La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, et le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, participaient également à l’annonce.

Une première entente de 20 milliards conclue en janvier 2022 avait été rejetée par le Tribunal canadien des droits de la personne parce qu’elle excluait des enfants qui avaient droit à une indemnisation. Le gouvernement fédéral et les représentants des Premières Nations sont donc retournés à la table de négociation pour en arriver à un nouvel accord qui prévoit 3 milliards supplémentaires.

Des centaines de milliers d’enfants ont été retirés de leur famille par les services sociaux pour des motifs discriminatoires. Une expérience jugée comparable à celle des pensionnats pour Autochtones, puisqu’en étant placés dans des familles non autochtones, les enfants étaient coupés de leur culture.

La Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et l’Assemblée des Premières Nations avaient porté plainte au Tribunal canadien des droits de la personne en 2007 pour que ces enfants obtiennent justice. L’action collective avait été lancée par la suite en 2019.

On parle, oui, aujourd’hui, de sommes historiques même dans la perspective mondiale, mais on parle aussi de torts historiques qui remontent jusqu’aux années 1990.

Marc Miller, ministre des Relations Couronne-Autochtones

Environ 300 000 enfants et jeunes adultes ainsi que leurs familles pourront toucher cette indemnisation. Le règlement s’appliquera aux Premières Nations dans les réserves et au Yukon qui en ont été victimes entre le 1er avril 1991 et le 31 mars 2022. Leurs parents ou leurs tuteurs pourront aussi recevoir une indemnisation. On ne sait pas encore combien de personnes cela touchera au Québec.

« Mettre fin au trauma intergénérationnel »

Le Tribunal canadien des droits de la personne avait ordonné au gouvernement fédéral de verser 40 000 $ à chaque enfant des Premières Nations arraché à sa famille en raison du sous-financement chronique des services à l’enfance, de même qu’à ses parents ou grands-parents. Il s’agit de la pénalité maximale qu’il pouvait imposer.

Une somme qui peut faire toute la différence pour les jeunes qui se retrouvent sans soutien des services sociaux une fois qu’ils ont atteint l’âge de la majorité. « Avoir un tel montant d’argent permet d’avoir un toit au-dessus de la tête, de la nourriture sur la table », a expliqué Ashley Bock, jeune femme autochtone qui a grandi dans des familles d’accueil en Ontario. « C’est aussi une façon de pouvoir avoir une éducation pour obtenir un bon emploi et mettre fin au trauma intergénérationnel. »

L’enveloppe sera également utilisée pour ceux qui n’ont pas reçu les soins de santé qu’ils auraient dû recevoir en raison de querelles de compétences, avant et après l’adoption par la Chambre des communes du principe de Jordan. Celui-ci stipulait que les enfants autochtones devraient obtenir les services dont ils ont besoin d’abord, lorsqu’il y a conflit entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial ou entre deux ministères pour savoir qui paiera la note. Or, le gouvernement fédéral en a fait une interprétation étroite durant des années.

L’accord doit être entériné à la fois par le Tribunal canadien des droits de la personne et par la Cour fédérale. Les deux instances avaient tranché en faveur des enfants autochtones lorsque le litige entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral leur avait été présenté.

Si l’entente est approuvée, l’évaluation des demandes d’indemnisation commencerait vers la fin de 2023 ou au début de 2024. Des excuses du premier ministre Justin Trudeau devraient être présentées par la suite.

La façon dont les fonds seront distribués reste à déterminer. Les personnes qui y auront droit pourront choisir de recevoir leur argent d’un seul coup ou en plusieurs versements. « Ce sont des gens qui ont vécu beaucoup de traumatismes au cours de leur vie, et bon nombre d’entre eux ont peu ou pas de connaissances financières », a expliqué en entrevue l’avocat responsable de l’action collective, David Sterns. Son cabinet tentera de les outiller.

La ministre Patty Hajdu a laissé entendre mercredi qu’une deuxième enveloppe destinée à mettre fin à la discrimination envers les enfants autochtones pourrait être bonifiée. En janvier 2022, le gouvernement avait conclu une autre entente de 20 milliards sur cinq ans pour réformer le programme fédéral des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, soutenir les jeunes adultes qui en sortent, aider les familles à rester ensemble et fournir du logement dans les réserves.