(Ottawa) Après des années de négociations, Ottawa et Washington s’entendent pour mettre fin à l’échappatoire de l’Entente sur les tiers pays sûrs qui permettait aux migrants d’entrer au Canada de manière irrégulière, notamment par le chemin Roxham.

En vertu de l’accord, le Canada annoncera qu’il ouvre ses portes à 15 000 demandeurs d’asile au cours de la prochaine année, a confirmé à La Presse une source gouvernementale canadienne qui a requis l’anonymat, n’étant pas autorisée à discuter publiquement de la question.

L’Entente sur les tiers pays sûrs sera donc désormais appliquée tout le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis, y compris aux points de contrôle non officiels comme le chemin Roxham, en Montérégie, que près de 40 000 migrants avaient emprunté en 2022.

Dans les deux camps, on s’attend à ce que ces ajustements mettent un frein à la migration irrégulière.

La politique s’appliquera aux demandeurs d’asile qui ne sont pas détenteurs de la citoyenneté canadienne ou américaine, et qui sont interceptés dans les 14 jours après avoir franchi la frontière, selon nos informations, qui viennent confirmer celles rapportées plus tôt par le Los Angeles Times.

Si ces personnes sont interceptées au Canada, elles seront refoulées vers les États-Unis, et vice versa.

Les détails de l’accord restent à peaufiner. Le gouvernement Trudeau en attachera les dernières ficelles dans le cadre de la visite au Canada du président des États-Unis, Joe Biden, et de sa délégation, qui sont arrivés au pays jeudi et repartiront ce vendredi.

La conclusion d’un accord entre Ottawa et Washington avait été d’abord rapportée par Radio-Canada, jeudi.

Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, n’avait pas nié la nouvelle à son arrivée au parlement.

Je pense que c’est une très bonne nouvelle. Ça fait des mois, je dirais même des années, que M. Trudeau et d’autres membres de l’équipe ministérielle travaillent fort là-dessus et je comprends qu’il y aura des précisions rapidement.

Jean-Yves Duclos, ministre fédéral de la Santé

Demandes insistantes de fermeture

Le souhait du premier ministre du Québec, François Legault, qui réclamait à cor et à cri la fermeture immédiate du chemin Roxham, s’apprête donc vraisemblablement à être exaucé.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

« Je pense que c’est important pour les Québécois que ce sujet-là soit abordé et éventuellement réglé », a-t-il affirmé jeudi matin lors d’une brève mêlée de presse avant de se rendre au Salon bleu pour la période des questions.

Les appels à la fermeture du chemin Roxham se faisaient de plus en plus nombreux depuis que des milliers de demandeurs d’asile avaient recommencé à l’emprunter pour entrer au Canada après la pause de la pandémie, alors que le point de passage était verrouillé.

Le Bloc québécois avait également fait parvenir une lettre à l’ambassadeur des États-Unis à Ottawa, David Cohen, pour réclamer la fermeture du chemin Roxham et la suspension de cette entente.

« Si l’objectif est atteint, c’est-à-dire fermer Roxham et permettre aux demandeurs d’asile de faire leur demande de façon régulière à travers tout le Canada, donc désengorger la capacité d’accueil du Québec, à ce moment-là ce sera une victoire », a commenté le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe.

« Maintenant, est-ce que c’est ça ? On ne sait pas. Il faut rester prudent. Le diable est dans les détails », a-t-il ajouté, se demandant entre autres ce qu’il adviendrait de l’investissement de 500 millions que le gouvernement fédéral a fait au chemin Roxham.

À l’instar du Bloc québécois, le Nouveau Parti démocratique réclamait une suspension de l’entente. « Mais s’il y a une autre façon de régler ce qui se passe, on est ouvert, parce qu’on doit régler ce problème », a déclaré en mêlée de presse le chef Jagmeet Singh.

Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, s’est prononcé sur Twitter en soirée. « Trudeau a encore reculé et a accepté de fermer le chemin Roxham, environ 30 jours après que je lui ai demandé de le faire, a écrit M. Poilievre. Mais il n’aurait jamais dû l’ouvrir en premier lieu. Avant lui, il n’y avait jamais eu de franchissement illégal de la frontière en masse et je ne laisserai pas cela se reproduire. »

Un enjeu ailleurs qu’au Québec

Le Québec n’était pas la seule province à commencer à taper du pied.

En Ontario, où des centaines de demandeurs d’asile avaient été transférés, des élus insistaient sur l’urgence pour le fédéral de trouver une solution.

« Je sympathise avec le premier ministre Legault parce que Niagara Falls, comme le Québec, a atteint le point de saturation », affirmait le maire de Niagara Falls, Jim Diodati, début mars.

Le Canada et les États-Unis tentent de renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs depuis plusieurs années.

En vertu de l’accord entré en vigueur en 2004, une personne qui veut obtenir le statut de réfugié doit présenter sa demande dans le premier des deux pays où elle met les pieds.

Comme elle s’applique seulement aux postes frontaliers, aux aéroports et aux arrivées par train, de nombreux demandeurs d’asile empruntent des passages irréguliers comme le chemin Roxham pour la contourner.

Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance, Tommy Chouinard et Suzanne Colpron, La Presse

Le chemin Roxham en cinq dates

29 décembre 2004

Entrée en vigueur de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis. En vertu de cette entente, les demandeurs d’asile doivent déposer leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent, sauf exception. Cette entente ne s’applique qu’aux points d’entrée officiels, soit les postes frontaliers et les entrées par train et par avion.

28 janvier 2017

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, écrit sur Twitter : « À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force. #BienvenueAuCanada ».

2 août 2017

Le gouvernement du Québec réquisitionne le Stade olympique pour composer avec l’afflux de demandeurs d’asile dans la province. Près de 19 000 personnes entrent au Québec par le chemin Roxham, en Montérégie, en 2017.

21 mars 2020

Fermeture partielle de la frontière canado-américaine en raison de la pandémie de COVID-19. La frontière ne rouvrira qu’en novembre 2021.

25 janvier 2023

Les organismes québécois qui viennent en aide aux demandeurs d’asile lancent un cri du cœur, affirmant être à bout de ressources. En 2022, un nombre record de 39 171 personnes ont franchi la frontière à pied par le chemin Roxham. Les chiffres ne diminuent pas en 2023, où près de 9500 ont été accueillies en janvier et février. Les pressions politiques s’accentuent, tant au provincial qu’au fédéral, pour faire face à cet afflux migratoire.

Lila Dussault, La Presse