(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu d’avoir attendu une année avant d’annoncer la conclusion d’un accord entre le Canada et les États-Unis pour colmater la brèche que représente le chemin Roxham, utilisé par des milliers de migrants pour entrer au Canada d’une manière irrégulière afin de demander l’asile. Il entrera en vigueur dès minuit ce vendredi soir.

« Ça prend des processus complexes pour gérer nos frontières et ça prend un certain nombre de mois pour aller de l’avant avec cette annonce », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse conjointe avec le président des États-Unis, Joe Biden.

« On a protégé l’intégrité de notre système et on continue de protéger et vivre nos obligations par rapport aux demandeurs d’asile, mais aussi on est en train de continuer à être ouvert aux arrivées régulières », a-t-il ajouté.

La date d’entrée en vigueur de cet accord avait déjà été fixée un an auparavant, mais le gouvernement canadien s’était gardé d’ébruiter la nouvelle. Le document disponible en ligne sur le site du gouvernement américain a été signé le 29 mars 2022 par le Canada et le 15 avril 2022 par les États-Unis.

Le Canada acceptera 15 000 demandeurs d’asile supplémentaires pour compenser la fermeture du chemin Roxham.

L’accord qui a été conclu au terme de plusieurs mois de négociations mettra à jour l’Entente sur les pays tiers sûrs. Les détails ont été annoncés au terme de la rencontre entre le premier ministre Justin Trudeau et le président des États-Unis Joe Biden vendredi après-midi, mais ils avaient fait l’objet de nombreuses fuites depuis jeudi.

Essentiellement, l’Entente sur les tiers pays sûrs sera désormais appliquée tout le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis, y compris aux points de contrôle non officiels comme le chemin Roxham, en Montérégie, que près de 40 000 migrants avaient emprunté en 2022. Elle s’appliquera également aux cours d’eau intérieurs.

Dans les deux camps, on s’attend à ce que ces ajustements mettent un frein à la migration irrégulière. La politique s’appliquera aux migrants qui ne sont pas détenteurs de la citoyenneté canadienne ou américaine, et qui sont interceptés dans les 14 jours après avoir franchi la frontière. Si ces personnes sont interceptées au Canada, elles seront refoulées vers les États-Unis, et vice versa.

« Nous travaillons également ensemble pour faire face aux niveaux records de migration dans l’hémisphère », a déclaré le président Biden un peu plus tôt dans son discours à la Chambre des communes.

Aux États-Unis, nous élargissons les voies légales de migration pour rechercher la sécurité sur une base humanitaire, tout en décourageant la migration illégale qui alimente l’exploitation et la traite des êtres humains. Aujourd’hui, je félicite le Canada d’avoir intensifié des programmes similaires.

Joe Biden, président des États-Unis

Les deux leaders ont également annoncé la mise en place d’un corridor de fabrication de semi-conducteurs, comme l’avait rapporté La Presse jeudi, assorti d’une enveloppe qui pourrait atteindre 250 millions et 100 millions pour le soutien de la Police nationale haïtienne. Sur le front de l’environnement, le gouvernement canadien versera également 420 millions pour protéger les Grands Lacs.

Il compte aussi aussi allouer 7,3 milliards des 38,6 milliards provenant du plan de modernisation du NORAD pour les infrastructures destinées aux nouveaux F-35.

Legault crie victoire

Le premier ministre François Legault n’a pas caché sa joie vendredi, qualifiant ce dénouement « de très belle victoire pour le Québec ».

« Vous avez devant vous un premier ministre du Québec qui est heureux de savoir que ce soir à minuit, enfin, le chemin Roxham va être fermé », a-t-il réagi dans un point de presse tenu immédiatement après celui d’Ottawa. Il a tenu à « remercier et féliciter » Justin Trudeau et Joe Biden.

Même si des migrants trouvent d’autres brèches pour entrer au pays, « on peut penser que […] ça va être réparti à la grandeur du Canada », a-t-il ajouté en soulignant que « c’est la responsabilité du gouvernement fédéral de s’assurer que les frontières soient respectées ».

Quant aux 15 000 demandeurs d’asile supplémentaires que le Canada s’est engagé à accueillir, « je pense qu’on a fait notre part, je pense qu’il y a un rattrapage à faire pour qu’il y en ait plus dans les autres provinces ».

À Ottawa, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet s’est indigné d’apprendre le laps de temps entre la signature de l’accord et son entrée en vigueur, qu’il juge « scandaleux au plan politique et humanitaire ». Le porte-parole bloquiste en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe, a réitéré qu’il « reste, par contre, beaucoup de questions avant de nous réjouir. »

« J’espère que cette entente va fonctionner et je ne sais pas pourquoi le premier ministre a pris aussi longtemps pour le faire », a réagi le chef conservateur, Pierre Poilievre, attribuant au passage le « problème avec la migration illégale massive » à Justin Trudeau.

Les appels à la fermeture du chemin Roxham se faisaient de plus en plus nombreux depuis que des milliers de demandeurs d’asile avaient recommencé à l’emprunter pour entrer au Canada après la pause de la pandémie, alors que le point de passage était verrouillé.

Le Canada et les États-Unis tentent de renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs depuis plusieurs années.

En vertu de cette entente entrée en vigueur en 2004, une personne qui veut obtenir le statut de réfugié doit présenter sa demande dans le premier des deux pays où elle met les pieds.

Comme elle s’appliquait seulement aux postes frontaliers, aux aéroports et aux arrivées par train, de nombreux demandeurs d’asile empruntent des passages irréguliers comme le chemin Roxham pour la contourner.

Avec Ariane Krol, La Presse