Les détails qui ont filtré jeudi sur l’entente entre Justin Trudeau et Joe Biden à propos de la fermeture prochaine du chemin Roxham laissent pantois ceux qui s’impliquent auprès des personnes migrantes. Ils craignent que des gens en quête de sécurité ne se retrouvent en danger en tentant de traverser la frontière.

« On est sous le choc », résume Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). « On s’attendait à un resserrement, mais pas aussi radical, explique-t-il. Je pense que c’est pire que les ententes en Europe, ça va être une catastrophe humanitaire. »

En vertu de ce nouvel accord Trudeau-Biden, l’Entente sur les tiers pays sûrs s’appliquera désormais aussi aux points d’entrée irréguliers à la frontière canado-américaine. Rappelons que cette entente oblige les demandeurs d’asile à présenter leur demande dans le premier pays sûr, Canada ou États-Unis, où ils arrivent. En ce moment, l’entente ne s’applique qu’aux entrées officielles – postes frontaliers, trains et avions (à certaines conditions).

Le nouveau pacte négocié entre le Canada et les États-Unis permettrait aux deux pays d’intercepter et de renvoyer toute personne qui tente de traverser les quelque 9000 kilomètres de frontière qui les séparent, y compris les points d’entrée comme le chemin Roxham.

S’ils se font attraper, [les migrants] vont être mis en détention et expulsés aux États-Unis. On ne sait pas trop dans quelles conditions et ce qui va leur arriver.

Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

Selon les détails qui ont filtré dans différents médias jeudi, les gens pourraient être interceptés jusqu’à 14 jours après avoir traversé la frontière. « Les gens vont donc se cacher dans la forêt pendant 14 jours », estime M. Reichhold.

Une mort tragique en décembre dernier

Pour Frantz André, membre du Comité d’action des personnes sans statut (CAPSS), cette annonce ne signifie pas que les demandeurs d’asile vont désormais cesser de traverser la frontière dans les deux sens. « Ce sont des gens qui ont [parfois] traversé 10 à 14 pays, qui ont failli mourir, donc ils vont trouver d’autres points d’entrée, ailleurs, qui sont moins sûrs », prévoit-il.

Il rappelle la mort tragique de Fritznel Richard, ce demandeur d’asile d’origine haïtienne retrouvé mort près du chemin Roxham en plein mois de décembre, alors qu’il tentait de retrouver sa famille aux États-Unis. « La politique a pris le dessus sur la question humanitaire », estime-t-il.

Reste à voir quelles seront les modalités exactes de ce nouvel accord. Des exceptions pourraient par exemple être accordées pour les gens qui ont de la famille au Canada, ou pour les mineurs non accompagnés, observe M. Reichhold.

Mais si les détails rendus publics jeudi se confirment, « il va y avoir une très forte mobilisation à travers le Canada », soutient le directeur. « Et il ne faut pas oublier [tous les demandeurs d’asile] qui sont au Québec, dont il faut s’occuper. Le problème n’est pas réglé. »

Les personnes qui traversent la frontière par le chemin Roxham ne sont pas que des chiffres, renchérit M. André. « Ce sont des humains avant tout qui viennent pour contribuer [à la société]. Ce sont des gens qui n’ont pas besoin d’être traumatisés à la frontière. »