(Ottawa) Des documents récemment publiés projettent une nouvelle lumière sur la surveillance policière dont le militant des droits des Noirs et futur premier ministre de la Dominique, Roosevelt Douglas, a fait l’objet en sol canadien à la fin des années 1960 et aux débuts des années 1970.

Que le Service de sécurité de la GRC se soit longtemps intéressé aux faits et gestes de M. Roosevelt, c’est un fait connu de l’histoire. Ce qu’on ignorait, c’est jusqu’où elle était prête à agir pour lui mettre des bâtons dans les roues.

Roosevelt Douglas, fils d’un riche cultivateur de noix de coco de la Dominique, était d’abord venu en Ontario pour étudier l’agriculture avant de fréquenter l’Université Sir George Williams, plus tard l’Université Concordia, à Montréal.

D’abord partisan des conservateurs fédéraux, le jeune homme est ensuite devenu un ardent défenseur des droits des Noirs. Il a noué des liens avec des dirigeants de divers mouvements internationaux.

Étudiant à la maîtrise à l’Université McGill au début de 1969, M. Douglas est l’un des organisateurs d’une occupation des locaux de Sir George Williams visant à protester contre le racisme. Pendant l’opération policière visant à déloger les manifestants du centre informatique de l’établissement, un incendie a éclaté, semant le chaos.

Plusieurs dizaines de personnes avaient été arrêtées et accusées devant les tribunaux. M. Douglas avait été condamné à une peine d’emprisonnement. Il est libéré au bout de 18 mois et déporté en Dominique. Bien des années plus tard, il devient premier ministre de son pays, peu avant sa mort en 2000, à l’âge de 58 ans.

Dans un de ses rapports, la Commission McDonald mandatée pour enquêter sur certaines activités de la GRC, mentionnait que la police fédérale avait placé un informateur auprès de M. Douglas. Cet informateur aurait même enregistré une conservation entre M. Douglas et le solliciteur général de l’époque, Warren Allmand, sans que celui-ci soit au courant.

Des documents récemment obtenus permettent de constater jusqu’où la GRC était prête à aller pour que son informateur soit en contact avec M. Douglas. Ainsi, la GRC a tenté en vain de saboter son automobile pour s’assurer qu’il se rende à Toronto pour rencontrer un important contact en visite au Canada en compagnie de son informateur.

La GRC a également mené une opération visant à discréditer le futur politicien au sein de la communauté noire et à créer une scission au sein de son groupe.

Opération « Checkmate »

Au début des années 1970, le Service de sécurité de la GRC avait mis en place l’opération « Checkmate » (Échec et mat), un programme national de contre-mesures perturbatrices, pour contenir les menaces de violence politique.

À l’époque, la GRC jugeait que les mécanismes légaux étaient parfois trop inefficaces pour obtenir des renseignements ou pour s’occuper des menaces à la sécurité nationale.

La commission McDonald avait permis de dévoiler certaines des cibles de la GRC. Parmi les autres tactiques douteuses du Service de sécurité de la GRC figurent le vol de la liste des membres du Parti québécois, la diffusion d’un faux communiqué du FLQ et l’incendie d’une grange en Estrie afin d’empêcher le déroulement d’une réunion.

Le Service de sécurité de la GRC a été aboli et remplacé en 1984 par une agence civile, le Service canadien de renseignement de sécurité.

En consultant les archives, on constate que la GRC exprimait souvent son inquiétude devant l’émergence des groupes plus radicaux de la Nouvelle Gauche et de l’extrême droite. Elle faisait notamment état de l’arrivée de sang neuf parmi les organisations communistes, trotskistes, maoïstes, sans oublier le FLQ.

La police s’inquiétait aussi des rapprochements entre les extrémistes canadiens et des mouvements radicaux de l’étranger comme l’Armée républicaine irlandaise, l’Organisation de libération de la Palestine, les Panthères noires ou les Weathermen américains.

Au début des années 1970, la GRC indiquait qu’elle pouvait s’occupait des individus, mais « la perspective d’un front commun pourrait avoir des conséquences alarmantes pour la société civile ».

Selon l’auteur Steve Hewitt, dont le livre Spying 101 portait sur la surveillance policière sur les campus universitaires, c’est une chose pour les autorités de vouloir prendre des mesures contre des individus qui prônent la violence, c’est en une autre de vouloir faire taire des gens qui ont des opinions radicales parce qu’elles craignent de les voir prendre les armes dans un avenir plus ou moins rapproché.

« Ça me semble plutôt dangereux pour une société libre », lance-t-il.

Le chercheur Andrea Conte, qui étudie aussi les opérations policières contre l’activisme au cours de cette période, estime qu’on n’a pas encore un portrait complet des activités de la GRC relativement à M. Douglas. Il souligne que le futur premier ministre de la Dominique avait échoué à se faire entendre comme témoin lors de la commission McDonald.

Dans une lettre énumérant les raisons pour lesquelles il devrait témoigner, Roosevelt Douglas avait déclaré qu’il n’était qu’un élément d’une lutte ouverte et démocratique contre l’injustice raciale, une cause qui recevait l’appui de parlementaires, d’églises et d’autres organisations importantes.

« Quelles étaient les craintes de la GRC à mon endroit ? Le fait que j’étais un libertaire non violent ? »