(Montréal) Le taux de détention des Inuits dans les prisons québécoises est 15 fois supérieur à la moyenne provinciale, révèlent des données du ministère de la Sécurité publique du Québec.

Selon ces statistiques, environ 4,5 % de la population inuite vivant au Québec ont été emprisonnés dans un lieu de détention provincial au cours d’une période d’un an s’étant terminée le 31 mars 2022.

Ce taux est près de deux fois supérieur à celui de tous les autres groupes autochtones.

David Boudreau, un avocat du Bureau d’aide juridique qui travaille dans le Nord québécois depuis plus de cinq ans, estime que le haut taux de détention résulte d’un « scandaleux manque de ressources ».

Il mentionne que les programmes visant à prévenir les crimes ou à détourner les contrevenants du système judiciaire ne sont pas souvent disponibles dans le Nunavik, là où vit la majorité des Inuits de la province.

Me Boudreau cite notamment l’absence de programmes d’éducation sexuelle ou de services permettant aux gens de guérir d’un traumatisme. « Cela cause le sempiternel cycle d’agression », déplore-t-il. Les causes d’agression sexuelle sont nombreuses devant les tribunaux, au Nunavik, mais les programmes de soins offerts aux contrevenants dans le sud du Québec ne sont pas disponibles pour ceux vivant dans le nord, ajoute l’avocat.

La seule aide accessible aux résidents est souvent offerte par des travailleurs sociaux qui n’ont pas tous les capacités professionnelles nécessaires pour s’occuper de ces problèmes. En conséquence, les condamnés inuits devront purger leur peine en prison plutôt qu’en résidence surveillée. Peu recevront une peine avec sursis.

« Les juges sont vraiment sensibles au manque de ressources, mais c’est au-delà de leur pouvoir de régler ce problème, souligne Me Boudreau. Ils doivent travailler avec ce qu’ils ont. Il manque une volonté politique pour essayer de mettre en place des programmes qui permettaient de réduire le taux de criminalité. »

Les Inuits représentent moins de 0,16 % de la population québécoise, mais comptaient pour 2,45 de la population carcérale des prisons provinciales pour une période d’un an s’étant terminée le 31 mars 2022.

Ils forment aussi 12,4 % de la population autochtone au Québec, mais ils comptent pour 35 % de la population carcérale autochtone dans les prisons québécoises au cours de la même période, selon des données fédérales et provinciales.

Mylène Jaccoud, une professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, dit que les Inuits sont « sur-surreprésentés » dans les prisons provinciales.

Elle rappelle que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois signée en 1975 avait accordé l’autonomie gouvernementale aux Inuits, mais son processus d’autodétermination a été moins avancé pour eux que pour certaines Premières Nations, comme les Cris, par exemple.

« Les Cris ont pris en charge leur administration de la justice comme les Inuits ne l’ont pas fait. Pour moi, c’est une grande différence », lance la Pre Jaccoud. Pour illustrer ce phénomène, elle signale que la grande majorité des policiers du Nunavik ne sont pas des Inuits. En mai 2022, le Service de police du Nunavik ne comptait que 4 agents inuits sur les 88 qu’ils employaient. La population de la région est inuite à 90 %.

Le corps policier a refusé de donner une entrevue à La Presse Canadienne.

Autre problème : il n’existe aucune prison dans le Nunavik. Les détenus doivent souvent purger leur peine à Amos, à plus de 1000 km de Kuujjuaq, la plus grande ville de la région.

En 2022, une action collective a été intentée contre le gouvernement québécois au nom des plus de 1500 détenus inuits. Selon la poursuite, les droits des Inuits sont systématiquement violés lorsqu’ils sont transférés dans des prisons fort éloignées de leur communauté.

La poursuite reproche aussi au gouvernement un système qui empêche les détenus d’avoir une enquête sur mise en liberté dans les délais prévus par le Code criminel et donne lieu à des détentions provisoires excessives et injustifiées.

La Société Makivik, qui représente les Inuits dans les négociations avec divers ordres de gouvernement, n’a pas rappelé La Presse Canadienne, malgré nos nombreux appels. Le cabinet du ministre responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, a référé les questions au ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, qui a refusé de commenter.