L'enquête policière qui portait sur le seul suspect dans l'affaire Cédrika Provencher consistait en « une expédition de pêche » dont le résultat doit être écarté, vient de décider la justice en infligeant un revers majeur aux autorités. Au point où le juge a prononcé un verdict d'acquittement.

Jonathan Bettez, un jeune homme d'affaires de Trois-Rivières, avait été la cible d'une traque sans répit de la part de la Sûreté du Québec (SQ) pendant plusieurs années. Les policiers sont persuadés qu'il a enlevé et tué la petite Cédrika Provencher, disparue depuis 2007.

Aujourd'hui, le juge Jacques Lacoursière a écarté la preuve recueillie par la police en matière de pornographie juvénile. Tenant des propos durs envers les autorités, il leur a reproché d'avoir violé les droits fondamentaux de l'homme.

Le magistrat ne s'est pas prononcé sur l'entièreté de l'enquête policière, mais seulement sur la portion « pornographie juvénile » de celle-ci.

Cette partie de l'enquête s'est ouverte sur une demande à l'entreprise Facebook afin d'obtenir l'adresse IP de M. Bettez. Cette demande, faite sans mandat et en plaidant l'urgence, était basée sur « de vagues hypothèses, voire une simple intuition », a déploré le juge : les policiers ont simplement évalué que s'il avait enlevé Cédrika Provencher pour la violer, Jonathan Bettez avait peut-être aussi l'habitude de consulter de la pornographie juvénile. Or, les policiers devaient avoir des « motifs raisonnables de croire » que l'infraction avait été commise. 

Le juge Lacousière a aussi déterminé que la police n'avait pas de mandat valide pour saisir du matériel informatique le jour de l'arrestation de M. Bettez, en 2016. 

Pour ces raisons, la justice a exclu virtuellement toute la preuve obtenue par la police dans le volet « pornographie juvénile » de l'enquête de police. « Admettre les éléments de preuve en l'espèce équivaudrait à lancer le message voulant que la fin justifie toujours les moyens, quels qu'ils soient », a écrit le juge.

Vu l'absence de preuve, le magistrat a acquitté l'accusé.

L'avocat de M. Bettez, Me Marc Antoine Carette, s'est réjoui de la décision de la justice, en dénonçant les violations des droits fondamentaux de son client. « Heureusement, le juge Lacoursière a prononcé l'acquittement de M. Bettez », a souligné l'avocat.

Le procureur de la Couronne au dossier, Me Jean-Marc Poirier, a évoqué la possibilité de porter en appel la décision. « Le juge va prendre le soin de rendre une décision étoffée et motivée qu'on va prendre le soin de notre côté d'analyser pour voir s'il aura une suite au dossier. Une suite qui pourrait être un appel, par exemple », a-t-il dit.

L'enquête de police sur Jonathan Bettez - qui incluait l'emploi d'une vaste supercherie, d'un « outil secret » de la GRC et de caméras cachées dans les maisons de tout son réseau social - n'a pas permis de recueillir des preuves suffisantes pour l'accuser de meurtre. Après avoir fouillé ses ordinateurs, l'homme avait toutefois été accusé de possession de pornographie juvénile. Les appareils ne contenaient pas directement ce type de fichiers, mais la Couronne croyait pouvoir convaincre la justice que l'ordinateur de Bettez a laissé des traces informatiques incriminantes. Il avait plaidé non coupable.

Le fil des événements

31 JUILLET 2007

Cédrika Provencher, 9 ans, disparaît. Elle est vue pour la dernière fois au coin d'une rue, tout près de chez elle à Trois-Rivières. Elle ne laisse derrière elle que son vélo.

AUTOMNE 2007

Jonathan Bettez apparaît sur l'écran radar des policiers. Il est à l'époque le propriétaire de l'une des 258 Acura TSX 2004 de couleur rouge au Québec. La SQ s'intéresse aux propriétaires de ce type de véhicule, dont une description a été donnée par un témoin. Bettez n'a pas d'alibi.

SEPTEMBRE 2007

Moins de deux mois après la disparition, la police commence à faire de la filature sur Bettez. Diverses opérations de surveillance physique seront effectuées au cours des dix prochaines années.

2 JUIN 2009

La SQ lance une vaste opération d'infiltration dans la vie de Jonathan Bettez. On l'attire dans un scénario monté de toutes pièces grâce à un faux concours qui lui fait gagner un voyage de golf à Mont-Tremblant. Les autres gagnants sont des policiers. L'opération d'infiltration durera 13 mois et comptera 25 scénarios.

DÉCEMBRE 2015

Des ossements appartenant à Cédrika sont retrouvés dans un secteur boisé de Trois-Rivières. Les policiers préparent une remise publique et médiatique des ossements à la famille. Il s'agit d'une stratégie de provocation dans le but de faire parler le suspect, toujours surveillé.

2016

La police obtient le droit d'installer des caméras dans les maisons de proches et de membres de la famille du suspect, en plus d'écouter leurs conversations. Le but : capter des propos incriminants.

AOÛT 2016

Jonathan Bettez est arrêté et accusé de possession de pornographie juvénile pour des faits survenus de 2009 à 2013. Les chefs d'accusation n'ont rien à voir avec l'affaire Cédrika. Lors de son arrestation, il refuse alors de se soumettre au test du polygraphe, test qu'il a déjà refusé de passer à quatre reprises depuis la disparition de l'enfant.

OCTOBRE 2018

Le juge Jacques Lacoursière écarte la preuve recueillie par la police et acquitte Jonathan Bettez des accusations de pornographie juvénile qui pesaient contre lui.