Vicky* a eu le malheur de manger le dessert de sa coloc sans autorisation. Une banale incartade qui l’a menée aux portes de l’enfer. Affamée pendant des mois, lavée au boyau d’arrosage, forcée de se prostituer : la jeune femme est devenue l’esclave d’une mère et de sa fille tiktokeuse.

À quelques jours de leur procès, Bryanna Abbruzzo, 22 ans, et Sonia Abbruzzo, 47 ans, ont plaidé coupable jeudi, au palais de justice de Montréal, à des chefs de proxénétisme et de fraude. Sonia Abbruzzo a aussi reconnu sa culpabilité à un chef encore plus grave, celui de traite de personnes, assimilable à l’esclavage moderne. Par ailleurs, un an avant de devenir une tortionnaire, Sonia Abbruzzo s’en était tirée sans conséquence grâce à l’arrêt Jordan, alors qu’elle était accusée d’avoir orchestré une fraude de 2,5 millions de dollars. La mère et la fille sont en attente de procès pour une autre affaire de traite de personnes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia Abbruzzo, en 2018, devant sa résidence

Vicky rencontre Bryanna Abbruzzo sur TikTok en 2021. À l’époque, Bryanna est relativement populaire sur le réseau social. Vicky emménage à l’été 2022 chez sa nouvelle amie à LaSalle. La victime de 20 ans travaille dans une épicerie et souhaite retourner à l’école. Au départ, elle habite dans le sous-sol de la famille Abbruzzo et ne paie pas de loyer.

Tout bascule début juillet quand Vicky mange le dessert de Bryanna. La mère et la fille changent alors de comportement envers leur jeune colocataire. Elles l’obligent à faire les corvées et à s’occuper des nombreux chiens. Sonia accroît son emprise : elle confisque le cellulaire de Vicky. Ses papiers d’identification disparaissent.

La mère et la fille traitent Vicky en esclave. Elles sont sans pitié. Vicky doit dormir dans le garage ou dans la cour arrière, quel que soit le temps, même pendant l’automne.

Et pas question de se mettre à l’abri, de se changer ou de se réchauffer même si elle est mouillée. Une vidéo montre Vicky en maillot de bain à la mi-octobre en train d’uriner sur elle-même dans la cour arrière.

Les seuls vêtements qui lui sont permis sont des costumes sexy. Elle n’a pas le droit de se laver. À l’occasion, Sonia Abbruzzo nettoie la victime au boyau d’arrosage à l’extérieur. On lui refuse d’aller à la toilette. Ses tortionnaires l’empêchent même de dormir. Des messages textes montrent de quelle façon la fille et la mère la tiennent éveillée.

Affamée, elle perd 30 kilos

Ses bourreaux vont jusqu’à l’affamer. Parfois, on lui interdit de manger pendant trois ou quatre jours d’affilée. Durant sa captivité, de juin à novembre 2022, Vicky fond de 30 kilos. Pour sa subsistance, la captive doit voler de la nourriture dans le voisinage. Ce qui permet ensuite à Sonia de menacer Vicky de la dénoncer à la police.

Les Abbruzzo plongent Vicky dans la prostitution, un univers qui lui était étranger. La jeune femme est forcée de se prostituer à de nombreuses reprises, surtout dans les véhicules des « clients ». La mère gère les services sexuels offerts par la victime, mais sa fille participe aussi.

C’est d’ailleurs seulement pour rencontrer des « clients » que Vicky est autorisée à quitter la cour arrière ou le garage de la résidence. Au départ, Sonia accompagne la victime pendant les rencontres avec les « clients » pour s’assurer qu’elle ne parte pas.

Pour empêcher Vicky de s’enfuir dans un refuge, Sonia Abbruzzo lui dit qu’elle est recherchée par la police. La tortionnaire lui fait aussi croire que sa famille ne veut plus d’elle. Vicky sort de l’emprise de ses bourreaux en novembre 2022. Le motif qui a poussé la victime à s’enfuir finalement n’est pas indiqué. Un proche l’amène à l’hôpital quelques jours plus tard, alors qu’elle est en détresse.

En parallèle, les Abbruzzo utilisaient l’identité de Vicky pour frauder plusieurs institutions bancaires. Sonia a d’ailleurs forcé la victime à recevoir de l’aide sociale. La femme empochait ensuite les chèques.

D’ailleurs, Sonia Abbruzzo a été arrêtée par la Gendarmerie royale du Canada il y a quelques années pour une fraude de 2,5 millions de dollars. Elle était accusée d’avoir mené une campagne d’appels frauduleux visant les petites entreprises familiales. Mais elle a bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire en raison des délais déraisonnables (arrêt Jordan) en 2021.

Les parties devraient présenter une suggestion commune de peine dans le dossier de la mère en novembre prochain. Tandis que sa mère est détenue, Bryanna Abbruzzo reste en liberté d’ici les observations sur la peine.

MSarah-Audrey Daigneault et MAntonio Parapuf représentent le ministère public. MChris Mediati défend la fille, alors que MHovsep Dadaghalian défend la mère.

* Nom fictif