Même s’il nie toujours son implication dans le gigantesque système de collusion et de corruption à Laval, Tony Accurso sera libéré dans quelques jours après avoir purgé le sixième de sa peine de quatre ans de pénitencier. L’ex-entrepreneur corrompu pourra même assister ses fils dans des projets immobiliers d’envergure.

C’est un Tony Accurso plutôt amorphe qui a témoigné devant la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) jeudi matin. L’homme de 72 ans semblait très loin du magnat de la construction charismatique qui multipliait les plaisanteries devant le jury pendant son procès en 2018.

Pendant l’audience jeudi, ses réponses étaient souvent brèves et lancées sans enthousiasme. Or, quand la commissaire s’est absentée pour délibérer, Tony Accurso s’est immédiatement transformé, affichant alors un très large sourire. Il semblait même rigoler avec son avocat.

Quelques minutes plus tard, la commissaire Véronique Buisson a ordonné l’octroi d’une semi-liberté à Tony Accurso à partir du 12 mars prochain (et d’une libération conditionnelle totale en novembre). Il sort donc du pénitencier après seulement huit mois de détention. En raison de l’époque de ses délits, il était admissible à un « examen expéditif », une procédure éliminée par le gouvernement Harper, qui permet à certains délinquants non violents d’être libérés au sixième de leur peine.

Tony Accurso n’a donc pas eu à faire acte de contrition devant la Commission. En fait, l’ex-magnat de la construction n’a pas du tout abordé ses crimes. « Monsieur maintient qu’il n’était pas au courant du système de collusion en place », a résumé l’intervenante de cas du délinquant.

Quand la commissaire a demandé à Accurso s’il avait eu des « prises de conscience » en prison, le criminel a éludé la question, évoquant plutôt un rapport carcéral favorable et ses bonnes conditions de détention.

« J’ai été très bien traité ici, je n’ai rien à dire. Tout le monde a été respectueux. J’ai été dans une unité où j’avais deux personnes, des seniors, ils m’ont suivi et protégé. Ce que j’ai apprécié beaucoup. Je n’ai pas été écœuré d’aucune façon par d’autres personnes », a-t-il souligné.

Huit mois, c’est très, très long

Tony Accurso

Les crimes commis par Tony Accurso sont toutefois bien avérés. Un jury l’a reconnu coupable en 2018 dans la pire affaire de corruption et de collusion de l’histoire contemporaine du Québec. De 1996 à 2010, ses entreprises ont empoché des millions de dollars grâce à un système criminel instauré par l’ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt. Tony Accurso a personnellement déjà donné 200 000 $ en mains propres à un collecteur de pots-de-vin du maire corrompu. La Cour suprême a refusé d’entendre son ultime appel l’été dernier.

Or, Tony Accurso a été « stigmatisé », estime son avocat. « Je ne veux pas sortir les violons [et dire] “Pauvre M. Accurso”. Mais il a vécu les stigmates de ce dossier », a fait valoir MPierre Tabah devant la Commission. Son client veut « sincèrement » mettre derrière lui toute cette histoire, a ajouté l’avocat.

Tony Accurso évoque « un droit de regard » sur les projets

L’audience s’est principalement attardée sur les conditions spéciales imposées à Tony Accurso en matière d’emploi et de gestion d’entreprises. C’est qu’il insiste pour conseiller ses enfants dans la vente et le développement immobilier de ses terrains.

Tony Accurso assure qu’il n’a « aucune intention » d’exploiter une entreprise à son âge. Les probabilités qu’il retourne dans le milieu de la construction municipale sont « zéro, zéro, zéro », a-t-il assuré, après avoir d’abord évoqué des chances « vraiment faibles ».

Or, il détient « quatre terrains relativement majeurs » et cherche à les vendre. Ses deux fils étudient ainsi la possibilité de développer ces terrains. « Ce n’est pas moi qui vais exploiter une autre entreprise, je vais agir strictement en consultation, supervision, vis-à-vis mes enfants », a-t-il expliqué.

Par exemple, ajoute-t-il, si ses enfants travaillent avec un courtier immobilier et engagent un entrepreneur général, ils pourraient lui demander son avis par rapport au prix de vente des terrains. « Je vais juste avoir un droit de regard », a-t-il conclu, sibyllin.

Quand la commissaire l’interroge sur cette dernière phrase, Tony Accurso réplique être « vraiment à la retraite » et ne pas avoir l’intention de travailler à temps plein.

« Si on décide. Si eux décident d’exploiter [les terrains], c’est sûr que ma connaissance – j’ai déjà eu une compagnie de construction de bâtiments – au niveau suggestions, quoi diriger, faut que tu vérifies ça. […] J’aimerais ça leur faire parvenir une partie de mon expérience », a expliqué Tony Accurso.

« C’est leur propre compagnie [à ses fils]. Je n’ai aucun titre. Aucune rémunération », a-t-il poursuivi.

Vérification faite par La Presse, les terrains, dans le Quartier chinois à Montréal et à Terrebonne, appartiennent toujours à des sociétés que détient Tony Accurso lui-même, et non à ses enfants, selon le Registre des entreprises et le Registre foncier. Ces terrains valent près de 40 millions de dollars.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Un terrain vague du Quartier chinois appartenant à Tony Accurso, au coin des boulevards Saint-Laurent et René-Lévesque.

La commissaire Véronique Buisson n’a pas semblé troublée par la volonté de l’ex-magnat corrompu de s’impliquer par la bande dans des projets de construction. « Le but de la condition spéciale, c’est de vous assurer que vous ne vous retrouviez pas dans des affaires de collusion. Le but, ce n’est pas de vous empêcher de conseiller vos enfants », a-t-elle souligné.

Finalement, la commissaire a choisi d’imposer à Tony Accurso l’interdiction habituelle de posséder ou d’exploiter une entreprise. Mais avec une exception visant « la vente et [le] développement des propriétés de vos enfants ». Il lui sera également interdit d’être responsable de questions financières d’une autre personne ou entreprise, mais avec une exception similaire.

Le plan de sortie de Tony Accurso demeure un mystère. Sans donner d’explications, la commissaire a ordonné un huis clos sur ce pan de l’audience. On peut supposer que cette discrétion est liée au fait que Tony Accurso aurait été visé par plusieurs tentatives d’extorsion dans les derniers mois. Les véhicules et les résidences de ses enfants ont aussi été incendiés ou visés par des coups de feu.

Exceptionnellement, Tony Accurso est donc resté seulement deux semaines dans un premier établissement carcéral, alors que la norme est de trois mois, puisque des détenus lui ont lancé des « menaces déguisées ». Il n’a toutefois reçu aucune menace « directe », dit-il.

Avec Hugo Joncas, La Presse